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Chapitre 10

 

 

 

 

 

C'est dans la deuxième semaine de cette année 1970 que les événements vont prendre une autre couleur. Rejoint dans cette démarche par Jacques Warnier, j’ai contacté Pascal Petrucci qui a connu bien des malheurs entre sa démission et sa réintégration à la Sécurité sociale. Il a travaillé pour un avocat qui s'est trouvé impliqué dans un mouvement activiste lors de l'historique mois de mai 68. C'est à Lyon que Pascal a connu ses "péripéties", et, bien qu'il en taise nombre d'éléments, je n'ignore pas que la ligne de conduite qu'il m'avait laissé déceler, du temps où nous nous voyions journellement, le prédisposait à s'engager de plain-pied dans un mouvement subversif. Ainsi je n'éprouve pas un grand étonnement en l'écoutant, mieux, le parallèle est vite tracé avec Mikaël Calvin. Déjà, à Epinal, j’avais pu entrevoir une certaine équivalence en la matière et fait le rapprochement entre les deux personnalités. N'avoir pu les mettre en présence l'un de l'autre demeurera toujours pour moi une lacune.

En attendant, Pascal semble très gêné financièrement, et c'est pourquoi, le soir, il exerce le métier de placeur dans une salle de cinéma, en sus de ses activités professionnelles dans une section locale de la Sécurité sociale, sise dans la banlieue marseillaise.

Il nous arrive parfois d'aller partager quelques instants avec lui alors qu'il fait les cent pas dans le hall jouxtant la salle de spectacle. Sitôt les spectateurs de la dernière séance entrés, il nous accompagne dans un petit restaurant où nous devisons longuement sur le sujet inépuisable de réflexion que nous propose ce que nous avons vécu, ensemble ou séparément, ces deux dernières années. Non, nous ne refaisons pas le monde mais, avec d'autres moyens, et à proximité de nous, certains semblent se destiner à le faire... et ne vont pas manquer de nous le faire savoir.

L'après-midi touche à sa fin, nous sommes sortis du bureau et j'ai pris congé de Gilbert Marciano avec lequel nous venons d'essuyer quelques jets de pierre, que les chantres du journalisme qualifieraient aujourd'hui de "frappes chirurgicales". C'est du grand art : précision, discrétion, rien ne manque. Je suis sur la célèbre Canebière lorsque, surgie d'une ruelle perpendiculaire, une voiture ralentit, fait halte et attire mon attention à l'aide d'un procédé exerçant un scintillement que j'assimilerai à un effet de miroir. L'un des occupants me fait signe et m'invite à m'approcher, ce que je ne manque pas de faire, pensant peut-être qu’on allait me demander un renseignement. Sans avoir l'impression d'être forcé, je me retrouve sur le siège arrière du véhicule, non sans avoir été invité à le faire. Il y a le chauffeur et deux passagers : celui qui est installé à mes côtés fait partie du "trio de la gare Saint-Charles", en revanche, je ne reconnais pas les autres. La voiture, une 404 Peugeot, roule à présent en direction de la cathédrale des Réformés, puis fait un demi-tour sur place dans un trafic pourtant fort dense[1]. Là, nous bifurquons dans une rue étroite, puis effectuons un nouveau demi-tour sur place. A ce moment-là, le conducteur invite tout le monde à descendre et j'emboîte le pas des deux autres membres de la faction de l'Organisation Magnifique.

La rue que nous arpentons s'élève vers les abords de la gare et, en cherchant à me situer, je vois une plaque qui m'indique qu'il s'agit de la rue Lafayette. Arrivés à l'angle de cette dernière, je constate que nous nous trouvons bien au pied de la gare Saint-Charles, perpendiculairement à la place des Marseillaises. Nous nous arrêtons sur le seuil de la dernière maison, devant une porte vitrée surmontée du numéro 27. Sans intervention apparente d'aucun des deux hommes, la porte s'ouvre et nous gravissons une dizaine de marches pour emprunter un ascenseur dont la porte s'ouvre tout aussi mystérieusement. Là encore, sans que nul n'appuie sur un quelconque bouton, l'ascenseur nous conduit quelques étages au-dessus. Nous sortons de la cabine et obliquons sur notre gauche jusqu'au bout d'un couloir se terminant par trois portes. C'est celle de gauche qui s'ouvre et nous nous retrouvons dans un appartement meublé sobrement, mais où un plan de Marseille et d'autres cartes ornent les murs ; je remarque que ces documents sont parés de petites ampoules multicolores qui clignotent. Deux hommes me souhaitent la bienvenue et l'on m'offre un siège. Assise à l'écart, dans un fauteuil, une dame d'un certain âge tricote. Si l'on excepte l'opacité de l'éclairage et le fait que la dame n'a pas daigné lever les yeux de son ouvrage, rien ne respire l'étrangeté en ces lieux. Les personnages, au nombre de cinq (le conducteur nous a rejoints), parlent entre eux à voix basse, alors qu'un verre, défiant les lois de la pesanteur, vient se poser devant moi, bouteilles d'eau et de sirop accédant à la table où l'on m'a installé par le même procédé. Quatre des cinq hommes s'attablent à mes côtés, et des verres atterrissent, qu'ils remplissent, sans avoir recours, cette fois, à ce que nous appellerons de la "télékinésie".

Puis la conversation s'engage, après avoir trempé nos lèvres dans les verres, avec une certaine réticence mal contenue en ce qui me concerne, sachant bien, cependant, que je me trouve là à leur merci. C'est du monde dans lequel nous vivons qu'il est question, de la société, plus exactement. Tour à tour, sur un même ton monocorde, les quatre personnages s'exprimeront, me faisant valoir l'échec de mai 68, l'échec de ce qui allait advenir à travers la société de consommation qui se révélerait être la consommation de la société. Bien qu'écoutant attentivement leurs propos, je retrouve là cette sensation indéfinissable de torpeur et je me contente d'acquiescer au moment où un silence se propose. Parfois, leur voix se fait lointaine et je suis repris par mes pensées qui se bousculent et qui m'engagent à poser des questions sur Mikaël Calvin, Chantal Varnier, les Jeux de Grenoble, ou encore à leur demander qui "ils" sont réellement. Mais cela est de courte durée, on dirait qu'ils captent mes idées et me les occultent au fur et à mesure qu'elles s'esquissent dans mon cerveau. Ces situations de "rencontres", qu'il me sera donné de vivre en plusieurs occasions, me laisseront, à chaque fois, cette impression "d'endormissement éveillé" ; je me sentirai toujours émergeant d'une sorte de sommeil semi-hypnotique lorsque je me retrouverai seul.

Pour l’heure, m’ayant tracé un exposé de la situation générale, ils m'avisent qu'ils vont modifier certaines données de notre quotidien et qu'il faut nous attendre à une recrudescence de l'insolite sous des formes que nous réprouverons, mais qui demeureront bien dans les normes de la qualité de notre système de vie. Je crois deviner une certaine violence dans ces futures actions, bien qu'aucun des quatre personnages ne se départisse jamais de son impassibilité.

Une fois qu’ils m'eurent reconduit chez moi, au boulevard Notre-Dame, je recouvrai progressivement un état général plus conforme à la normale. En tant que sportif, j'assimilerais ces instants à une phase de récupération active, le "retour au calme" en quelque sorte, succédant à l'effort proprement dit. Ainsi j'arpentai l'appartement de long en large, effectuant des flexions du tronc, des moulinets avec mes bras, m'accroupissant et me parlant même à voix haute comme pour évacuer de mon être quelque chose d'étranger et, surtout, d'encombrant.

Revenu à moi, si je puis dire, je pus renouer avec le fil de mes pensées et analyser posément cette entrevue bien particulière.

Premièrement, il s'avère que la notion de la durée de ladite entrevue est sans commune mesure avec le temps réel passé en présence de mes mystérieux interlocuteurs.

Deuxièmement, et c'est sans doute en relation directe avec le premièrement, actes comme gestes émanant de ma personne ont semblé prisonniers d'un faux rythme sans que rien de perceptible n’ait entravé leur mouvement. Mes sens répondaient à une forme de pulsion que je crois contrôlée par "eux" : ainsi me suis-je retrouvé dans leur véhicule sans bien me souvenir d’avoir maîtrisé le processus d'invitation à le faire ni mon acceptation de le faire. Il y a eu là ce que j'appellerai un phénomène de compression enclenchant une forme de spontanéité dans l'assentiment que j’ai donné pour l'accomplissement de leur vouloir. Et par quel procédé lénitif font-ils passer de l'état de tension à celui de placidité ? J'opte davantage pour des "ondes vibratoires" que pour la boisson qu'ils m'ont servie et dans laquelle ils auraient pu verser quelque drogue.

Troisièmement, nous retombons dans le cycle des questions habituelles que je ne leur ai pas posées : "Qui sont-ils ? De quoi vivent-ils ? Et surtout qu'attendent-ils de moi ?..." Il est évident que tout se tient dans ce genre de situation, et je suis d’ailleurs persuadé que, comme cela vient d'être évoqué plus haut, il y a interaction entre tous les éléments en présence. La part abandonnée au hasard est ténue, inexistante : l'O.M. ignore "l'à-peu-près".

Cependant, sans prétendre que ma modeste personne va contribuer à résoudre l'énigme, je ne peux nier qu'en ce jour j'en sais un peu plus et qu'il m'appartient de tenir et de rendre compte de cet aspect nouveau des choses.

Manifestement, l'Organisation Magnifique est une société secrète, opérationnelle en divers lieux, de façon permanente, si je m'en réfère aux cartes géographiques affichées contre le mur. A mon avis, les petites lampes clignotantes dispersées sur ces plans muraux correspondent à des endroits où ils établissent des quartiers généraux, comme ce 27 rue Lafayette où j'ai été conduit.

Je déduis aussi que, du point de vue intendance, tout ce petit monde ne doit pas avoir de problème majeur : déplaçant n'importe quel objet à souhait, il doit en aller de même pour tout ce dont "ils" ont besoin. C'est, si l'on y réfléchit un instant, proprement fabuleux.

Une fois disséminés parmi nous, rien ne les différencie des autres personnes, sauf peut-être une certaine décomposition des gestes qui les fait agir au "ralenti" : ce détail se retrouve dans le débit de leur conversation, notamment quand ils s'interrompent pour laisser la parole à quelqu'un d'autre. Sans dire que je les crois robotisés, je dois avouer que cette unité dans le fonctionnement m'avait déjà frappé lors du premier contact en 1967, et, bien qu'il ne soit pas interdit de penser que c'est mon propre état qui m'engage à les visualiser sous cet aspect, cela a été encore plus flagrant aujourd'hui où j'ai eu tout loisir de les observer, assis que j'étais auprès d'eux.

D'ailleurs, pourquoi ne pas attribuer mon comportement "émollié" à un effet de mimétisme dû à leur présence ? Et si cette sensation de m'extraire d'un caisson d’isolation, que j'avais eue le 29 décembre 1967 en descendant du train à Toulon, était fondée ? Si, à leur contact, j'évoluais à l'intérieur d'une bulle ou de quelque réceptacle du même acabit ? Cela éclaircirait pas mal de points, notamment le fait que la manœuvre de leur voiture ait pu se réaliser au gré de leur fantaisie en plein trafic, comme si celle-ci roulait hors du champ de vision des autres automobilistes et agents de la circulation, corroborant l'impossibilité acquise de pouvoir situer qui et quoi que ce soit au mment des envois de projectiles. Ceci s'applique, par extension, à leur intervention à Grenoble et certainement à tout espace "qu'ils" jugeraient opportun d'investir[2].

Un détail, auquel j'accorde son importance en cette interprétation, m'a passablement choqué : la vieille dame au tricot. J'en suis à m'interroger sur sa présence parmi nous dans la pièce ; elle n'a jamais participé de loin ou de près à ce qui s’est passé entre les murs de cet appartement dont je jurerais qu'il est le sien... Incontestablement, il ressort de cet constatation ce que je considère être une absence physique : la sienne ou la nôtre. Ma théorie déductive de "la bulle" se trouve renforcée et, sans que j'estime avoir fait là une découverte fondamentale, je n'aspire qu'à une chose : retourner au 27 rue Lafayette avec mes amis marseillais pour avoir une idée plus précise des faits.

A quatre reprises, une fois avec Jean-Claude Panteri et Gilbert Marciano, une autre fois avec Jacques Warnier et Pierre Montagard et deux fois accompagné de Pascal Petrucci, je me rends à ce fameux immeuble de conception tout à fait moderne, qui n'attire en rien l'attention par rapport aux autres bâtiments qui l'entourent. L'entrée est équipée d'un Interphone, et l'on ne peut avoir accès à l'intérieur qu'en sonnant chez quelqu'un. Pour entrer, nous avons donc dû patienter à chaque fois, le temps qu'un habitant des lieux pénètre ou sorte de l'immeuble. Où le paranormal reprend ses droits, c'est quand il nous faut prendre l'ascenseur : nous n'arrivons jamais à l'étage de notre choix ! Il nous faut d'abord attendre l'immobilisation de l'appareil, laquelle ne se fait pas sans mal : parfois il s'arrête, pour repartir aussitôt dans un sens ou dans l'autre, ce qui nous oblige à monter ou à descendre à pied, mais nous permet, également, de visiter la maison palier par palier. Sans aboutir à l'appartement, faut-il le préciser.

De toute façon, il ne faut pas oublier dans quelles conditions j'ai accédé à ce "domicile" de l'Organisation Magnifique. N'ayant actionné aucun bouton, ni à l'entrée, ni dans l'ascenseur, ni même au moment de m'introduire dans l'appartement, les maîtres des lieux m'avaient en quelque sorte baladé à leur gré (conditionné que je devais être, comme cela a été relaté précédemment) et, de ce fait, je ne pouvais posséder de repères très précis.

Janvier s'acheva par le mariage de Pascal Petrucci avec une collègue de travail et la mutation de Jean-Claude Panteri pour le service des imprimés, service que je n'allais pas tarder à rejoindre à mon tour, ma présence s'avérant être indésirable au centre de paiement de la rue Jules Moulet où il n'était pas rare de voir des manifestations se produire. Ainsi, un jour, alors que nous œuvrions dans la salle des archives, une rangée de dossiers se dégagea des étagères, demeura un instant en suspens, puis se posa sur le sol, sans que rien ne se mélange. Il faut savoir que le classement de ces documents était un classement vertical et que les dossiers étaient, de ce fait, posés sur chant, ce qui excluait théoriquement qu'on pût les extraire en grosse quantité de leur rangement, en bon ordre, à moins d'avoir pris soin auparavant de les enduire de glu !...

Comme partout ailleurs, ces phénomènes agaçaient le personnel d'encadrement, contrariant la bonne marche des activités, ouvrant des brèches dans la discipline, laquelle discipline est indispensable lorsqu'il faut gérer une collectivité. L'imperturbabilité n'est et ne sera jamais de circonstance quand se manifeste le "paranormal", et quelque vingt-cinq ans en arrière encore moins qu'aujourd'hui où les films, les ouvrages littéraires ou les conférences sont monnaie courante, interpellant monsieur ou madame Tout-le-monde presque quotidiennement, sans qu'il faille estimer pour autant que cela est entré dans les mœurs. Disons que tout un chacun accepte mieux la narration de certaines choses (à défaut de pouvoir les vivre), que certains événements sont davantage pris au sérieux et, surtout, que le rêve nous est nécessaire pour alimenter l'esprit, même si ce dernier se veut "cartésien". Ce rêve que les pseudo-réalités de notre mode de vie se plaisent d'annihiler lorsqu'elles ne le métamorphosent pas en cauchemar.

Pour ma part, le "paranormal" ne me fait plus rêver, il se limite pour l'heure à un changement radical dans ce dont j'avais fait "mes" certitudes. Ainsi l'athée que je prétendais être prie souvent pour la guérison définitive de Chantal. Celle-ci s'est précipitamment fiancée avec Roberto De Rosa, un inspecteur des douanes qu'elle retrouvait chaque année en Italie. Pour ma part, chaque fin de semaine, je revois Chantal qui, quoique pâlotte, apparaît ragaillardie.

Ni sa mère ni moi ne chantons victoire : nous nous limitons à la constatation de ce mieux, laissant à l'alchimie de la "foi" la rude tâche de transformer notre espoir en réalité.

J'ai reçu un courrier de Claudine qui m'annonce sa venue dans le Midi pour Pâques où elle me présentera son fiancé Gil Saulnier.

Pensant à Mikaël, je commence à trouver pesant ce qu'il nommait "l'environnement social" dont il pensait que je serais détaché un jour prochain, pour accéder au "parce que" du "pourquoi" de mon implication à l'action de l'Organisation Magnifique.

En attendant cet instant - s'il doit venir - je me contente, avec Christian Santamaria, Jacques Warnier et surtout Jean-Claude Panteri, d'assister, émerveillé et craintif à la fois, à de nouvelles formes de manifestations "supranormales". Ce sont les plaques d'égout qui voltigent aux quatre coins de la ville : aux arrêts d’autobus comme dans les halls des cinémas où nous consultons quelquefois les photos des films programmés. Un soir, à l'intérieur d'une salle de cinéma, nous eûmes droit au ballet d'une grille d'évier qui heurta, en tintant, les fauteuils de chaque rangée, pour venir atterrir entre Jacques et moi. Des ampoules électriques éclairées nous doublent parfois sur le trottoir et explosent quelques dizaines de mètres plus loin, se brisant en partie, de manière à dessiner un chiffre ou un signe qu'il nous est le plus souvent impossible d'interpréter. Nous assistons aussi à l'apparition des premières billes d'acier qui causent pas mal de dégâts aux vitrines des magasins devant lesquels nous nous trouvons ! Ces billes repartent sitôt leur objectif atteint, et il nous est presque toujours impossible de les récupérer.

La relation de ces faits le lendemain au bureau perpétue ce climat de malaise qui règne autour de ma personne : me voilà donc membre à part entière du service imprimés où je retrouve Panteri que je n'avais d'ailleurs jamais quitté. Un autre garçon fréquente les lieux : c’est Michel Aguilo, le responsable des fournitures de bureau du centre Moulet. Quelques jours après avoir fait sa connaissance, alors qu'il est visiblement au courant de ce qui m'arrive (qui ne l'est pas à la Sécurité sociale ?), nous remontons le cours Pierre Puget afin de regagner notre bureau lorsque nous nous faisons doubler par une orange !

Chose normale pour une orange volante, celle-ci est dotée d'un décapsuleur fiché en son centre, autour duquel nous avons la demi-surprise de trouver enroulé non pas un billet, comme on eût été en droit de l'attendre, mais un article de journal consciencieusement plié, certes humecté par le jus du fruit, mais en excellent état.

Terrible confirmation ! L'article décrit le caractère violent des nouvelles actions de l'O.M., ainsi "qu'ils" me l'avaient laissé sous-entendre. "Ils" viennent de se livrer à un massacre d'animaux au zoo de Marseille. Singes, dauphins, otaries, poneys, dromadaires, crocodiles… "Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés", aurait pu écrire monsieur de La Fontaine. Bien sûr, le journaliste commentant cette triste nouvelle ignore qui est responsable de cette horreur ; il relate les faits, incriminant des vandales à travers des actes isolés, mais les détails qu'il mentionne ne laissent place à aucune équivoque. Les projectiles dont ont été victimes les malheureux animaux désignent d'eux-mêmes les auteurs de ce que je n'hésite pas à appeler une tragédie.

Avec Jacques Warnier, puis avec Pascal Petrucci, je tenterai de mener une enquête en allant me documenter sur place, au zoo. Jamais je ne pourrai rencontrer Jim Frey, directeur de l'époque, mais j'aurai la malheureuse opportunité de traiter de l'affaire avec un gardien-chef et son subalterne qui ne réussiront, à leur insu me faut-il préciser, qu'à faire monter mon taux d'adrénaline. Article de presse à l'appui, je ne parviendrai pas à leur faire valoir le caractère extraordinaire de ces actes de malveillance : ils se cantonneront dans une description similaire des faits, ne soulignant que le préjudice causé au zoo et la cruauté de certaines personnes à l'égard des animaux.

Pourtant, lire, puis s'entendre dire, pour confirmation, que des chimpanzés avaient eu une perforation de l'estomac après avoir avalé des lames de rasoir, que des otaries et des dauphins s'étaient étouffés en avalant des billes d'acier et surtout que d'énormes pierres avaient fracassé le crâne de deux crocodiles ne pouvait, à mon avis, que choquer sinon bouleverser tout entendement, quand bien même fut-on le dernier des hurluberlus.

En attendant, ces exactions m'ont profondément traumatisé et je suis contrit d'avoir pu nourrir une certaine estime envers ces étranges personnages que sont les membres de l'Organisation Magnifique. Ils ont l'art et la manière de faire souffler le chaud et le froid car, bien que je ne puisse oublier "qu'ils" semblent avoir exercé une influence sur le rétablissement de Chantal et "qu'ils" aient été les principaux artisans de ma libération anticipée des rangs de l'armée française, je me refuse de donner mon assentiment à un tel acte de barbarie : nul n'a le droit de faire subir de tels sévices à des animaux. C'est là un point de vue que je ne manquerai pas de leur exprimer lors de notre prochaine rencontre, puisque prochaine rencontre il devrait y avoir.

Si Jacques Warnier, Jean-Claude Panteri et la plupart de mes autres camarades et amis partagent mon point de vue, Pascal Petrucci, lui, sans donner son approbation à ce qu'il appelle lui-même un nouveau "massacre des Innocents", met en exergue ce que ces gens pourraient réaliser à l'occasion d'une nouvelle révolution, voire d'un conflit de plus grande importance. Il pense, en outre, "qu'ils" ont voulu nous choquer et que le plus choquant, en l'occurrence, n'est pas la finalité revêtue par la chose, mais les formes : en ce qu'elles ont été, mais surtout comment la plupart des citoyens les ont perçues. Il est vrai qu'il doit s'en trouver peu dans la région qui, ayant pris connaissance des faits dans la presse, ont été aptes à relever "l'originalité" des moyens employés dans cette affaire sordide. Et Pascal de renchérir sur ses réflexions :

- C'est là une manœuvre de propagande destinée à nous épater, de sorte à te faire adhérer à leur mouvement sous des formes "qu'ils" ne manqueront pas de te révéler quand bon leur semblera…

Pascal est intimement persuadé qu'il s'agit là d'une des formes de la probable politique de recrutement qu'exerce l'O.M. dans le but d'étoffer son effectif. Cette éventualité, qu'aucun d'entre nous ne rejette, ne nous éclaire pas plus qu'avant sur les critères requis à cette fin. Ce qui apparaît comme certain, c'est le caractère "hors-la-loi" que revêt une telle association. Etre membre d'une telle confrérie engage à voler : ne soustraient-"ils" pas ce "qu'ils" veulent quand et à qui "ils" veulent ?

Pis, adhérer à un tel groupe expose tôt ou tard à ôter la vie : les pauvres animaux du zoo de Marseille en sont le plus brûlant exemple, et qui oserait prétendre que cela saurait se borner aux seuls animaux ?

Répondant aux instigations de Pascal, visiblement obnubilé par ce dernier événement, je retournai avec lui au 27 rue Lafayette. Nous sonnâmes à plusieurs portes mais aucune ne s'ouvrit, sauf une : au cinquième étage, au fond du couloir à gauche en sortant de l'ascenseur. Est-ce mon émotion qui troubla la dame d'environ quarante ans qui nous accueillit ? Ou bien y eut-il, comme je suis tenté de le croire aujourd'hui, une influence des "autres" ? Toujours est-il que, mise en confiance, cette personne nous fit entrer, semblant comprendre mon charabia à travers lequel je tentais de lui expliquer que j'étais déjà venu dans cet appartement. Je reconnus bien la géographie des lieux et tous les emplacements géométriques que j'avais mémorisés. Placards, étagères, miroirs : rien ne manquait, sinon les cartes et plans muraux qui avaient été ôtés de la cloison sans laisser la plus infime trace. Sans que nous lui demandions rien, la dame nous montra des photos exposées dans des cadres posés sur un buffet et je pus y reconnaître la vieille dame qui tricotait. Aux dires de notre hôtesse, il s'agissait là de sa mère qui venait de temps à autre passer quelques jours chez sa fille et son gendre. Gendre que je ne reconnus pas sur les photographies que, trop obligeamment, cette dame pour le moins confiante nous présenta. Non sans nous être excusés d'avoir envahi de la sorte sa maison, nous prîmes congé de cette jeune femme que je ne revis plus jamais, pas même lors des autres contacts que je pus avoir ultérieurement avec l'Organisation Magnifique.

Celui que je ne revis plus jamais également après cette curieuse démarche, je dirai même "démarche curieuse", ce fut l'ami Pascal Petrucci.

Avec une profonde tristesse, nous apprîmes, dans les semaines qui suivirent, que Pascal venait d'être victime d'un accident de la circulation ! Fauché par un chauffard qui n'avait même pas daigné s'arrêter, notre ami était décédé durant son transport à l'hôpital. Coïncidence ? Cette thèse fut alors adoptée par chacun d'entre nous, vraisemblablement pour conjurer ce sentiment de peur qui couvait en notre for intérieur et qu'il eût été illogique de ne pas nourrir.

Pourtant, Pâques, où j'eus le plaisir de faire la connaissance de Gil Saulnier (que Claudine me présenta), puis l'été, que je mis à profit pour participer à des concours de chant, se déroulèrent sans le moindre soubresaut relatif à ces événements devenus tragiques.

Une récidive de ma sinusite "m'obligea" à interrompre mes activités professionnelles et à m'expatrier de Marseille pendant plus de deux mois. C'est d'ailleurs à l'occasion de ces congés prolongés que Gil et Claudine se montrèrent persuasifs au point de me faire participer à des "tournois artistiques" organisés par les commerçants de Toulon sur la place publique. J'eus l'opportunité d'y chanter mes propres chansons et d'être remarqué par une dame d'une cinquantaine d'années, madame Peggy (Floch de son vrai nom), qui gérait une sorte de "petit conservatoire de la chanson" avec l'assistance d'un pianiste hors pair qui répondait au nom de Maurice Veil, plus connu sous le pseudonyme de Mauricio.

L'orchestre des "Desperados" commençait à se disloquer et Gil, à juste titre, considérait au demeurant que j'avais davantage de chances de m'extirper de mon ennuyeux fonctionnariat en interprétant mes propres œuvres qu'en animant des bals populaires. C'est la raison qui m'avait poussé à faire fi de ma réticence à me présenter à des concours, et ce, de quelque nature qu'ils fussent, comme j'ai pu vous le confier déjà.

J'avais adopté ce principe de ne jamais éventer, aux personnes avec lesquelles je me liais, cette qualité de choses particulières qui faisaient partie de moi et dont vous n'ignorez presque plus rien, à présent, tant que rien d'inhérent à ces choses ne se révélait de façon flagrante.

Ainsi je ne dérogeai pas à cette règle, pas plus avec Peggy et Mauricio qu'avec Claudine et Gil, aspirant surtout à rompre avec un "quotidien" pour le moins traumatisant. Cette théorie de silence et d'attente sera confortée plus tard lorsque me sera dit :

- Ce qui doit se savoir se sait !

C'est dans une sérénité pratiquement retrouvée que, le 11 juillet 1970 à Toulon, j'assiste à la cérémonie de mariage de Chantal Varnier qui devient ainsi madame De Rosa. En cet instant précis, je sais que le miracle a eu lieu. Bien sûr, il est prudent de tenir compte de ce que la science appelle "rémission", dans le cadre de ces terribles maladies ; mais le rai de lumière qui filtre à travers le vitrail de l'église et se pose sur le crucifix de l'autel, devant lequel les nouveaux mariés échangent leurs alliances, ne vient-il pas "diviniser" quelque chose de plus fort qu'un simple mariage ? Pour ma part, j'en suis persuadé, comme je suis sûr que chaque jour qui passe me rapproche désormais de celui où je saurai.

Que me soit pardonné cet excès de langage par respect pour Mikaël Calvin, que je me refusai de croire, et eu égard à mon souci d’humilité que ces quelques lignes, tout à leur joie, viennent de mettre à mal.

 

 



[1] Manœuvre non seulement interdite, mais impensable en raison de la circulation quotidienne dans ce quartier.

[2] A la suite de nombreux phénomènes survenus dans le "vortex" du quartier des Réformés à Marseille, se reporter, une nouvelle fois, à la K7 N°9 "Contacts Espace/Temps : Jean-Claude Pantel et ses étranges visiteurs", et surtout à la K7 N°11 "Les Vortex".

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