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Chapitre 15

 

 

 

 

 

Jeudi 12 juillet : jour J-3


Alors que nous nous apprêtons à prendre notre petit déjeuner après une nuit réparatrice, Lucette allume la radio, mais ce geste va très rapidement nous couper l'appétit : il n'y a qu'une dizaine de rescapés parmi les passagers du Boeing 707 brésilien qui s'est écrasé hier à Orly ! C'est un incendie à bord qui aurait occasionné cette catastrophe lors de l'atterrissage.

Cette tragédie a donc eu lieu le lendemain du rêve de Lucette, et l'émotion se révèle d'autant plus vive qu'il s'agit d'un avion venant du Brésil. Quiconque oserait attribuer ce fait au pur hasard, en déconsidérant le contexte particulier qui précéda l'accident, se montrerait plus irrationnel que l'irrationnel qu'il tendrait à rejeter. La question essentielle pour chaque témoin, en ces cas de figure répétés, reste toujours de savoir si nos cerveaux sont conditionnés pour recevoir une information sous forme de prémonition provoquée, ou alors si le fait lui-même n'est qu'un acte de malveillance dont on veut bien nous avertir à l'avance, plus ou moins approximativement.

Je puis dire, à ce jour, que les deux possibilités peuvent s'envisager : ce ne sont là que des conséquences d'interférences entre des forces émanant de circonstances précises, que captent et dont se servent des espèces d'une dimension totalement différente de la nôtre. Nous aurons, plus loin dans cet ouvrage, toute latitude pour aborder cet aspect sibyllin des choses.

Présentement, il convient donc simplement de noter qu’à la suite de l'interprétation "d'Ultime Carnaval" (chanson typiquement brésilienne), dans les conditions particulières que je vous ai relatées, ma compagne a rêvé un accident aérien qui ressemble étrangement à celui dont toute la presse a fait son titre principal, en ce jeudi 12 juillet 1973.

La journée connaîtra d'autres péripéties dont un attroupement des plus bruyants devant la porte d'entrée du 26 rue Pierre Laurent. La cause en est le nombre impressionnant de demi-sphères découpées dans les deux battants de la baie vitrée qui, plus que jamais, ressemble à un gigantesque morceau de gruyère transparent ! Défileront tour à tour les membres du syndic de l'immeuble, la police en civil et en uniforme, et les responsables médicaux des services hospitaliers de Michel Lévy, dont les salles de soins et autres donnent sur la rue qui sert de cadre à ces étranges manifestations. Toujours dans un souci de rationalisation, ces faits seront attribués à, je cite, "de possibles jets de projectiles à effet boomerang émanant du service psychiatrique de l'hôpital Michel Lévy". Heureux les simples d'esprit capables de manipuler "l'invisible"!...

En cette fin de siècle qui annonce également l'avènement d'un nouveau millénaire, il n'est pas vain de souligner la peur qui se manifeste chez l'homme dès qu'il se trouve en phase de questionnement. Les Anciens avaient la crainte de ce qu'ils ne pouvaient pas comprendre ; nous autres, leurs dignes descendants, connaissons l'angoisse de ce que nous ne parvenons pas à expliquer. En fonction de la science, comme à travers la religion, nous avons tenté de nous rassurer en figeant un "savoir" qui défaille toujours face à l'imprévisible. Ce dernier révèle l'absurde de nos inférences : le mystère, en son inabordable "raison d'être", devrait nous engager à respecter le silence, mais c'est sans doute trop demander à une humilité dont nous avons été peut-être insuffisamment pourvus. Résumant bien la situation, le verset 2 du chapitre 1 que consacre la Bible au roi Salomon, sous l’appellation de "L’Ecclésiaste" (ou du "Prédicateur"), s’est clamé au monarque : Vanité des vanités ! Tout est vanité.

Pourquoi notre quotidien nous verse-t-il à négliger si souvent cette écrasante vérité ? Vraisemblablement parce qu’il la sait inconfortable, car très limitative à l’endroit de ce que nous estimons être le cursus de notre devenir.

Vendredi 13 juillet : jour J-2

Lucette, qui est allée faire quelques commissions, en revient affolée : elle prétend avoir été suivie. Elle me fait une description du personnage qui l'a prise en filature et elle insiste pour que je regarde discrètement derrière les rideaux de la fenêtre qui donne du côté de l'entrée de notre immeuble. Me tenant bien en retrait, de façon à voir sans être vu, je peux ainsi apercevoir l'homme qu'elle m'a décrit minutieusement.

Je ne reconnais pas en lui un des personnages auxquels j'ai pu avoir affaire dans mes rencontres antérieures. Certes, il a une attitude pour le moins bizarre, arpentant la rue en regardant dans la direction de notre habitation, traversant d'un trottoir à l'autre et semblant même prendre des notes sur un petit calepin qu'il a extrait de l'une de ses poches. Le manège dure longtemps, beaucoup trop longtemps pour qu'il s'agisse, comme j'ai pu le dire à Lucette pour la rasséréner, de la simple manœuvre d'approche d'un coureur de jupons en mal d'affection qui aurait jeté incidemment son dévolu sur elle. Etant donné que nous ne devons pas sortir, nous tombons d'accord pour considérer qu'il n'y a rien à redouter dans l'immédiat, tout au moins en ce qui concerne la sécurité de l'appartement. De toute façon, si l'individu appartient réellement à l'Organisation Magnifique et que c'est notre domicile qui l'intéresse, il est certain que ce n'est pas une porte et pas davantage notre présence à l'intérieur de la maison qui s'avéreront des obstacles infranchissables pour lui...

La matinée s'écoule, et bien que nous nous montrions attentifs au moindre petit bruit, rien ne se passe que l'on puisse classer au chapitre de l'insolite. Alors que nous allons nous mettre à table, on sonne à la porte : c'est Patrick, le frère cadet de Lucette, qui est venu d'Auriol pour se rendre compte, de visu, de l'état d'indigence dans lequel, selon la rumeur, nous évoluions. Il a profité de sa visite pour nous apporter des amandes de la campagne et aussi pour nous rendre certains disques que nous lui avions prêtés. Patrick nous apprend ainsi que les bruits qui courent sur nous sont loin d'être élogieux : ils font notamment état de manipulation de ma part à l'égard de Lucette ! Il est dit que je détruis mobilier et bibelots pour répondre à des rites pratiqués dans des sociétés occultes (sans doute est-il fait référence là au bris de la statue du "Méditerranée" et surtout à ce qui s'est déroulé à la rue Raoul Busquet). Quoi qu'il en soit, il est prodigieux que des gens ne sachant pratiquement rien de la vie de quelqu'un s'autorisent, sans autre forme de procès, à porter un jugement des plus sordides sur la vie de ce quelqu'un. Il y a de quoi se réjouir de n'être plus au Moyen Age : le colportage de telles insanités est de ceux qui conduisirent, à n'en pas douter un seul instant, nombre d'innocents au bûcher...

Dans l'après-midi, nous avons le plaisir de recevoir André Dellova, lequel corroborera ma vision - que vous aurez peut-être jugée un tantinet trop caricaturale - des choses en m'apprenant qu'il a reçu, de la part de son syndic, une lettre le mettant en garde une fois pour toutes contre les "assemblées mystérieuses" et bruyantes qui se tiendraient chez lui ! En outre, ce courrier met particulièrement en exergue le fait que de nouvelles plaintes du même ordre, qui proviendraient de la part des locataires constituant son voisinage, l'exposeraient à une mise en demeure de quitter les lieux dans un délai fixé par la loi. Autrement dit, le pauvre André se verrait tout bonnement expulsé si d'aventure, pour une raison ou pour une autre, des manifestations intempestives étaient perçues - et surtout divulguées - par son entourage. Il est désormais hors de question que nous puissions tenir nos séances informatives et "expérimentales" à Saint-Gabriel. Nous en aviserons Jimmy Guieu à son retour.

Je ne terminerai pas le récit de cette journée sans mentionner le fait suivant : alors que nous raccompagnons André des yeux et d'un au revoir gestuel de derrière notre fenêtre, nous constatons que le curieux personnage qui avait suivi Lucette, le matin, rôde toujours dans les parages. Il est même en conversation avec un autre inconnu, et tous deux ne manquent pas de suivre visuellement le départ de notre ami.

Samedi 14 juillet : jour J-1

Nous devons passer au "Méditerranée" pour arroser les plantes chez mes beaux-parents. A cette fin, nous attendons André qui doit nous rejoindre en milieu de matinée. Alors que nous nous préparons, les pantoufles ainsi que toutes les paires de chaussures de Lucette s'envolent en formation serrée, telle l'escadrille de la Patrouille de France, puis elles se dématérialisent au contact de la baie vitrée de la salle à manger ! Il convient de savoir que Lucette a toujours eu des problèmes pour se chausser et qu'elle est une cliente assidue des pédicures et autres podologues : ce handicap certain lui a, jusqu'à présent, interdit les trop longs parcours pédestres, et je n'avais d'ailleurs pas manqué d'être surpris, au début de notre rencontre, de la voir souvent utiliser de manière abusive le taxi pour des déplacements qui ne justifiaient pas un autre moyen que celui de la marche à pied. Pour clore cette anecdote, je vous dirai que toutes les chaussures de Lucette mirent un mois pour revenir et qu’elle ne connut plus jamais le moindre problème d'ordre physiologique sur cette partie de sa personne. Elle réalisa, de surcroît, d'authentiques exploits au cours de la décennie qui suivit, à l’occasion de compétitions de course à pied dites de grand fond, lesquelles se déroulèrent sur vingt-quatre et même quarante-huit heures. Mais la chronologie de cette histoire nous autorisera à y revenir en temps choisi. Pour l'heure, en ce jour de fête nationale, André Dellova nous a rejoints et nous a avertis que le rôdeur de la veille se trouvait en faction au coin de la rue.

Nous partons donc pour le "Méditerranée", non sans avoir pris soin, par acquis de conscience, de fermer notre porte à double tour, n'ignorant pas la portée tout à fait limitée de cette précaution. Chemin faisant, nous constatons tour à tour que nous effectuons des gestes totalement indépendants de notre volonté. Lucette, en plus du fait qu'elle marche pieds nus, adopte de temps à autre un pas bondissant qui la propulse quelques dix mètres en avant ! André, lui, évolue sur le toit des voitures en stationnement, comme si de rien n'était. Quant à moi, je perds à plusieurs reprises ma chemise, et je ne dois de la récupérer qu'à des passants prévenants qui sont à peine surpris de mon "étourderie"... Nous arrivons ainsi au 60 avenue de Toulon, au "Méditerranée", pour constater que notre "espion" de service se trouve quelque cinquante mètres derrière nous. André me paraît étrange et il semble beaucoup moins bien supporter le conditionnement incontestable que nous subissons. Je ne suis qu'à moitié surpris de le voir carrément briser une baie vitrée à l'aide d'un rocher dont il s'est saisi je ne sais où ni comment, alors que nous sommes sur le seuil du hall d'entrée. J'échange un regard inquiet avec Lucette car il est certain que si André a été "programmé", comme son air absent semble le faire valoir, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Dans cet état semi-hypnotique, notre ami, de par sa force herculéenne, est capable de provoquer des dégâts dont nous n'avons pas idée. Que faire ? N'oublions pas que nous ne sommes pas chez nous et que le climat familial n'est pas de ceux qui autorisent à espérer beaucoup de mansuétude. Déjà, le bris de la baie vitrée de l'immeuble, même s'il n'y a eu aucun témoin, va nous être imputé sans l'ombre d'un doute. J'essaie donc de convaincre le pauvre André d'attendre avec moi à l'extérieur pendant que Lucette arrose les plantes chez ses parents : pour toute réponse, notre ami rit nerveusement en me regardant fixement derrière ses lunettes rondes, alors que son visage s'empourpre et luit sous un bain de sueur.

En désespoir de cause, nous pénétrons alors tous les trois à l'intérieur de l'appartement où nous pouvons voir rouler à terre des boîtes de conserve en quantité industrielle : petits pois, haricots, tomates pelées, ananas s'amoncellent sur le parquet de la salle à manger, dans laquelle le piano a conservé, sur son pupitre, la partition de "Bleu, blanc, rouge", la fameuse chanson que Noëlle Gardonne avait interprétée quelques jours auparavant.

Tandis que ma compagne s'adonne à ses activités ménagères, je surveille étroitement André en effectuant la visite des pièces. Je m'aperçois ainsi qu'il n'y a plus la moindre tache de sang caillé contre le mur du couloir, mais que persiste une odeur indéfinissable. Je me propose alors d'aérer l’endroit en faisant coulisser un des battants de la grande porte vitrée qui donne accès au balcon, mais je n'y parviens pas. Même tentative, même échec avec les autres fenêtres, ce qui ne m'empêche nullement, derrière celle de la chambre de Béatrice, ma jeune belle-sœur, d'apercevoir dans la rue l'homme qui nous surveille depuis vingt-quatre heures. C'est en revenant sur mes pas que je constate, dans le hall, que les clefs ne sont plus dans la serrure de la porte d'entrée ; j'actionne alors, sans trop y croire, le loquet et constate que nous sommes bel et bien enfermés. J'en fais part à mes compagnons, et nous décidons, faute de choix, de faire contre mauvaise fortune bon cœur, en d'autres mots, de nous mettre à table, comme semblent nous y inviter les baguettes de pain, la demi-douzaine de yaourts et le melon apparemment bien mûr qui viennent d'apparaître subitement sur la table du coin cuisine !

Ultérieurement, nous serons réveillés par le bruit de chute sur le parquet du récepteur de télévision devant lequel nous nous étions assoupis peu de temps après l'avoir éclairé. Fort heureusement, l'appareil n'aura subi aucun dommage ; celui-ci étant demeuré en position de marche, nous constaterons ainsi sur-le-champ son bon fonctionnement. Avec André, nous reposerons le téléviseur sur son socle, avant que notre ami ne se voie transporté par une force invisible (le soulevant à un bon mètre du sol !) dans la salle de bains. Là, il se trouvera déshabillé, puis plongé dans la baignoire qui avait été remplie durant notre sieste plus ou moins forcée...

Ce curieux acharnement sur la personne d'André n'est pas de nature à engendrer la sérénité. Notre ami, si sécurisant de par la force tranquille qu'il dégage habituellement, est en passe d'échapper complètement à lui-même. Son comportement laisse transparaître une forme de robotisation dont on peut être en droit d'attendre le pire. J'ai l'effroyable certitude que l'Organisation Magnifique maîtrise quasi totalement sa personne pour exercer une pression à mon encontre : en dominant de la sorte l'individu complet que représente André, l'on veut bien entendu me signifier que l'heure va sonner où je vais rejoindre les rangs de cette société secrète. Car désormais, il n'y a plus de doute : la "psychokinésie" leur sert de moyen de persuasion pour exercer leur recrutement. Conditionnés, les individus "qu'ils" ont choisis leur servent pour des besognes jugées ingrates, vu "l'éthique" de l'idéal "qu'ils" se sont assigné.

Je me sens affligé comme jamais par tant de "machiavélisme", mes pensées restent muettes, mais, encore une fois, elles convergent vers mes amis disparus : Pascal Petrucci et surtout Mikaël Calvin.

Comme par enchantement, parce que je ne peux pas y échapper, j'entrevois alors ce faisceau lumineux assimilable au flambeau de l'espoir, cet espoir que je bafoue bien trop souvent... Et s'ensuit un incontestable afflux de lucidité qui me replace dans une logique dont je n'aurais jamais dû me laisser détourner.

Ceci donne, en la circonstance, la série de questions que voici :

- Pourquoi avoir attendu pratiquement sept années pour me faire franchir le pas ?

- Pourquoi m'avoir laissé me marier, alors qu'il eût été si simple de se servir du célibataire que j'étais naguère ?

- Lucette se trouverait-elle donc concernée ? Si oui, dans quel but ? Celui de me donner une descendance dans la société nouvelle que prône l'O.M. ? Comment peuvent-"ils" ignorer que Lucette et moi sommes hostiles au fait d'impliquer un innocent dans cette forme de vie que l'homme subit depuis des millénaires ? A combien de reprises me suis-je plu à prononcer, en référence aux philosophes grecs des temps anciens (et notamment Sophocle), cette phrase énonçant à cet effet : Le comble du bonheur, c'est de ne pas naître…

Du reste, ce concept, si traumatisant pour la plupart des bien-pensants que nous figurons, se révèle bien antérieur au patrmoine culturel de la Grèce antique. Compulser la Bible nous conduit, entre autres, aux premiers versets du chapitre 4 de "L’Ecclésiaste" où, sous le couvert de sa sagesse légendaire, le roi Salomon, après avoir énuméré faits et méfaits de notre humanité, témoigne : J’ai considéré ensuite toutes les oppressions qui se commettent sous le soleil ; et voici, les opprimés sont dans les larmes, et personne qui les console ! Et j’ai trouvé les morts qui sont déjà morts plus heureux que les vivants qui sont encore vivants, et plus heureux que les uns et les autres celui qui n’a point encore existé…

Non, décidément, cette pseudo-théorie de descendance dans laquelle "souhaiterait" m’impliquer l’O.M. ne tient pas vraiment la route : il existe inéluctablement d'autres paramètres que je ne maîtrise pas encore...

La nuit a déposé son manteau d'étoiles au-dessus de la ville, et nous nous trouvons toujours enfermés dans l'appartement de mes beaux-parents. Toutefois, un air venu d’on ne sait où a singulièrement rafraîchi l'atmosphère ; ce n'est pas un luxe inutile, les fenêtres étant restées, à l'instar de la porte, désespérément fermées. Nous sommes assis en face d'une tasse de tilleul destinée à nous détendre lorsque André enfile précipitamment une veste de survêtement en opinant de la tête, comme s'il répondait à une demande. Nous le regardons se diriger, le teint plus blafard qu'une tache de lune, vers le hall où des claquements sourds résonnent, tandis qu’une lumière opaque enveloppe tout l'appartement. Nous avons emboîté le pas à notre ami quand, tout à coup, du fond du couloir nous parvient un grognement rauque. Je pousse violemment Lucette dans la première chambre auprès de laquelle nous nous trouvons, en écarquillant mes deux yeux qui ne croient pas ce qu'ils voient : André fait face à un monstre, un animal d'une autre époque... S'il s'agit d'une "projection holographique", c'est "criant" de vérité, mais, en tous les cas, nous ne pouvons le prétendre avec certitude pour le moment. C'est du Spielberg avant l'heure. Le monstre, que j'assimile à un iguanodon, a saisi André entre ses pattes antérieures et, fort maladroitement, se livre avec lui à une sorte de pas de danse, au rythme d'une musique dont il est impossible de situer la provenance. C'est la queue du reptile qui, martelant murs et portes, provoque ce claquement sourd que j'ai évoqué ! De la chambre où je l'ai poussée, Lucette, les mains jointes, me demande, à voix basse, de lui commenter ce qui se déroule à quelques mètres de moi.

Dans le même registre de voix, je lui relate la scène qui s'offre à mon regard pétrifié, mais dont je suis bien incapable, à l'heure où j'écris ces lignes, de dire combien de temps elle dura. C'est le bruit du robinet emplissant la baignoire, pour le deuxième bain de la journée d'André, puis l'éclairage retrouvant sa luminosité initiale, qui interrompront ce cauchemar.

Plus tard, la thèse de l'hologramme sera entérinée par tous, sans que nous puissions, toutefois, donner une signification aux traces sanguinolentes de griffes que le pauvre André conserva une bonne semaine dans son dos ! La veste du survêtement, qu'il avait d'ailleurs si prestement enfilée, était sans doute destinée à le protéger, et elle atténua efficacement ce qui n'en demeurait pas moins des plaies superficielles, si l'on se réfère à l'état de délabrement dans lequel nous récupérâmes le vêtement.

A la suite de ce phénomène terrifiant, nous sombrâmes dans un sommeil aussi profond qu'artificiel jusqu'à une heure avancée de la matinée de ce qui allait être le jour J.

Dimanche 15 juillet 1973 : jour J

Nous constatons qu'il nous est possible d'ouvrir les vitres, et le trousseau de clefs, au terme de son escapade, a retrouvé sa place dans la serrure de la porte d'entrée : nous allons pouvoir retourner chez nous. Mais notre satisfaction tourne court car, au moment de partir, nous avons la désagréable surprise de constater qu'à la place du paillasson, placé habituellement sur le palier, se trouve un drap mortuaire. Il s'agit là du petit drap que l'on dispose sur la table, sous le cahier de condoléances destiné à recueillir les signatures des personnes connaissant le défunt. Le symbole, si symbole il y a, est morbide : ne sachant que faire, nous décidons de laisser le drap là où il a été déposé. Mal nous en prend car le père de Lucette viendra rapidement faire un esclandre à notre domicile, en proie à une terreur tout à fait déplacée, eu égard au fait que cet homme s'estime remarquablement équilibré... Mais ce n'est là que péripétie - tout juste digne d'être mentionnée - par rapport à ce qu'il va nous être offert de vivre, cent quatre-vingt-quatre ans et un jour après la prise de la Bastille.

Il est presque dix-sept heures, et nous écoutons, au 26 de la rue Pierre Laurent, les disques que mon beau-frère nous a rapportés.

Lucette, apparemment en grande forme malgré le souvenir ô combien vivace de ce qui s'est passé hier, décide d'écouter Serge Lama dans une chanson tout à fait de circonstance qui s'intitule "Le quinze juillet à cinq heures". Notre attention se dirige alors vers la penderie, où un cliquetis vient de se faire entendre. Cette penderie, attenante à la pièce principale, en est séparée par une porte dont le loquet vient d'osciller. Avec un grincement digne de ceux que l'on peut rencontrer dans les films d'épouvante, la porte s'est entrouverte. Nous échangeons un regard aussi inquiet qu'interrogateur, tandis que le bras de l'électrophone se soulève, libérant le disque et un silence plus angoissant que jamais. André s'est dressé, s'est saisi du tabouret sur lequel il était assis et le brandit par un pied, telle une massue. Je lui conseille d'adopter un comportement moins belliqueux, lui rappelant succinctement que, d'une part, tout rapport de force ne pourrait que nous défavoriser, et que, d'autre part, si leur intention avait été de nous faire du mal, "ils" nous l'auraient déjà fait, les occasions ne leur ayant pas fait défaut. Corroborant mes dires, Lucette décide alors de déposer dans la penderie une poignée des amandes que son frère Patrick nous a apportées avant-hier. Aussitôt dit, aussitôt fait : elle ôte le tabouret des mains d'André, m'invite à prendre quelques fruits et à les disposer sur ledit tabouret. Une fois la mise en place achevée et la porte refermée, nous nous rasseyons autour de la table. La pièce, baignée de lumière, semble, comme nous, retenir son souffle… Je ne vous cacherai pas que, plus de vingt ans après, en l'instant précis où j'écris ces lignes, je me sens totalement envahi par un relent émotionnel d'une intensité proche du choc éprouvé lorsque, le cœur cognant à tout rompre dans nos poitrines, nous entendîmes craquer les amandes, comme si leur écorce avait été broyée par un casse-noix ! Nous attendîmes dans un silence religieux que se tussent ces craquements, et puis Lucette proposa alors que nous allions voir ce que nous réservait le calme retrouvé de la penderie.

Bien qu'il leur eût été facile de nous ouvrir la porte, "ils" nous laissèrent le soin de le faire, exactement comme s'il nous avait été ordonné d'aller au bout de notre démarche, d'assumer la responsabilité que nous avions prise.

Fantastique spectacle que les restes de ce décorticage : il ne demeurait que des moitiés d'écorce d'amandes, les fruits, quant à eux, ayant bel et bien disparu... Nous réitérâmes sur-le-champ l'opération qui se déroula exactement de la même façon, à ceci près qu'une voix stridente jaillit de la penderie, nous remerciant et nous demandant de l'Antésite, boisson que nous consommions à l'époque.

Nous accédâmes à ce souhait et comprîmes alors que la situation avait singulièrement évolué : nous venions de participer à un échange ! Quelque chose de fondamental s'était produit, et, bien que nous ne fussions pas en état d'analyser concrètement ce changement profond qui venait de s'opérer, je ressentis, fugitivement mais assez concrètement pour l'épancher ici, un élément sous-jacent me donnant à envisager une interférence avec les événements vécus auparavant. Avions-nous bien affaire, en cet instant, à l'Organisation Magnifique ? Il me sera énoncé en d'autres circonstances :

- Se poser une question, c'est souvent en porter la réponse.

Ce que d'aucuns considéreront peut-être comme un dicton est devenu pour moi une loi qu'il m'est, depuis, bien difficile de transgresser.

Il est plus de dix-huit heures en ce 15 juillet 1973, et il y a à présent une heure qu'un dialogue s'est instauré entre des Etres que nous ne voyons pas et les pauvres humains que nous sommes. Pour corroborer ce que je viens d'évoquer dans le paragraphe précédent, j’affirme qu’il n'y a aucune commune mesure entre le timbre des voix que nous entendons et celui des personnages qui avaient établi un contact avec moi, dans les conditions que vous savez… Là, elles sont métalliques et, à mon avis, différenciées exagérément à dessein ; elles sont également terriblement persuasives et, par instants, carrément autoritaires. Paradoxalement, nous n'avons pas peur… Bien sûr nous échangeons des banalités, mais cela nous autorise néanmoins à apprendre que les personnes qui nous ont causé des ennuis, notamment les responsables de notre expulsion de la rue Raoul Busquet, ont été punies ou vont l'être dans de brefs délais. Tout cela s'avérera rigoureusement exact, et, bien que je m'interdise de citer les noms ici, je puis vous dire que la chose fut vérifiée par nombre de témoins, en son temps. En matière d'identité, chaque voix nous donne son nom : de la sorte nous apprenons que nous nous adressons à Karzenstein, Frida, Virgins. Nous les considérerons - et considérons toujours - comme des "Entités féminines", ne serait-ce que parce que leurs semblables leur adressent la parole au féminin, sans doute pour plus de commodité car je suis intimement persuadé que ces Etres sont totalement asexués, évoluant dans des sphères où ne demeure que l'esprit. Les autres voix, quant à elles, "répondent" aux patronymes de Jigor, Verove, Zilder et Magloow. L’expérience aidant, nous remarquerons, en fonction du dialogue, que Jigor traite plus volontiers des sciences et des énergies - de la "lumière" en particulier -, Verove de l'environnement végétal et les autres d'un peu de tout, mais surtout de "philosophie", matière qui va représenter la quasi-totalité de la deuxième partie de ce récit.

Le soir est tombé, et l'obscurité de la nuit qui va lui succéder ne tamisera en rien le halo de luminosité qui semble nimber la maison et nos personnes. Bien que nous ne sachions l'exprimer clairement, nous avons envie de faire partager ce "bonheur" nouveau, car c'est bien de "bonheur" qu'il s'agit. La chose, en son caractère indicible, a inoculé au plus profond de nous un courant énergétique qui nous transcende. J'ajouterai, en outre, que jamais je n'ai ressenti cet effet lors de mes entrevues avec les éléments de l'Organisation Magnifique. Comme un seul homme, nous décidons avec Lucette et André d'aller informer Paul Miguel de cette nouvelle situation.

Il doit être vingt heures lorsque nous parvenons au 9 de la rue Goudard où Paul loue un coquet petit appartement. Notre ami vient juste d'arriver de Paris où il a rendu visite à ses parents. Il est averti de notre venue par les voix de Virgins et Frida qui nous parlent toujours. Paul est très ému par ce que nous considérons à juste titre comme le dénouement de cette aventure, aventure à laquelle il appartient désormais à jamais.

Alors que nous descendons de chez lui pour retourner à la rue Pierre Laurent où nous nous sommes proposés de dîner tous ensemble, nous croisons un de ses voisins qui fait montre d'inquiétude face au bruit que nous faisons, eu égard à certains phénomènes qui se sont déroulés antérieurement dans la cage d'escalier de l'immeuble. Ce voisin est un commissaire de police à la retraite qui a l'air d'être demeuré sur le qui-vive et qui, au nom de cette déformation professionnelle, exprime à Paul la conviction qui est sienne selon laquelle l'immeuble a des ennemis. Ennemis qu'il se fait fort de réduire à l'impuissance de par son expérience et ses connaissances. D'abord surpris d'entendre la voix de Virgins (qu'il croit être celle de Lucette), il obtempère illico à l'ordre qui lui est intimé par Frida de regagner en silence son domicile. Il nous est difficile de ne pas pouffer de rire en voyant l'ex-commissaire remonter l'escalier, penaud, sans demander son reste, tel un enfant pris en faute qui se serait fait réprimander !

Chez nous, Paul Miguel, garçon pourvu d'une belle intelligence, bien que manifestement intimidé (on le serait à moins), s'est mis à converser avec ces Etres qu'il ne nous est pas donné de voir, mais dont on sent indubitablement la présence. N'osant, par pudeur, poser des questions trop assimilables à une curiosité que nous qualifierons de primaire, sans non plus aborder les thèmes qui nous seront proposés par la suite, nous pouvons néanmoins découvrir qu’Ils vivent dans ce qu'Ils appellent la continuité… En effet, ce qui nous différencie principalement "d'Eux" semble être le caractère transitoire de notre existence. Tout comme Eux, nous sommes "éternels", mais seulement en "discontinuité", Virgins nous disant à cette occasion :

- Le fait d'être mortels ne vous interdit nullement d'être éternels ; toutefois, vos vies conscientes connaissent des ruptures : que ceci vous engage à nuancer la terminologie que vous donnez aux mots.

D'un timbre aussi aigu, avec un vocabulaire aussi riche, mais dans un débit moins rapide et plus posé, Karzenstein nous dira qu'il va nous être prochainement imposé un mode de vie quelque peu surprenant, durant un temps, et que nombre de personnes de notre entourage vont, du fait, se trouver apeurées et conséquemment éloignées. Ces changements interviendront afin qu'avec Lucette et quelques autres nous accédions à quelque chose qui nous est destiné, dont un "Envoyé du Maître" (?) se verra porteur, en temps choisi.

Accoutumé à être dépendant de toutes sortes de vicissitudes "provoquées", je n'ai aucun mal, bien que j'en ignore encore les formes, à anticiper le profil mouvementé de ce qui va nous être imposé. Cependant, sans prétendre aborder stoïquement "tout" ce qui nous est "destiné", je n'éprouve aucune appréhension particulière car je pressens que l'on touche au port : enfin se dessine cet avenir dont Mikaël Calvin parlait quelquefois, comme un prophète parle d'un "avènement".

Et dire qu'à dater de ce moment, il me faudra quinze années, pas une de moins, pour découvrir enfin pourquoi tu n'auras pas eu, toi, Mikaël, le droit de partager avec tous ceux qui m'entourent "ce" que tu avais su si éminemment déceler, et que l'humilité, en son habit de pudeur, m'interdit d'évoquer ici, sinon entre les lignes !… Quoi qu'il en soit, et tant pis si je blasphème, "rien" ni "personne" ne saura m'empêcher de dire, d'écrire qu'il s'agit là de l'un des plus grands regrets de ma vie...

Ce que vient de dire implicitement Karzenstein clôt cet entretien, et André comme Paul prennent congé de nous ; ni l'un ni l'autre ne savent, en cet instant, qu'ils ne feront pas partie, à des titres divers, de ce que certains vont recevoir à nos côtés et qu'il convient d'appeler une Initiation.

A une allure vertigineuse, nous allons mener alors une existence exaltante : atterrés par moments, transcendés quelquefois, nous ne connaîtrons pratiquement jamais de répit, et il nous faudra rayer de notre vocabulaire le mot train-train. Les pages qui vont suivre m'octroient le droit d'imputer à l'assimilation totale de ce style de vie une bonne part du délai que j'ai dû observer avant de commencer à rédiger ce livre. De cette densité événementielle, plus extraordinaire que jamais, je vais donc m'efforcer d'extraire l'essentiel, entre situations burlesques et moments pathétiques.

Bien qu'il soit acquis que les interventions, à travers les phénomènes d'ordre physique, interférèrent alors entre elles, et ce, je suis en droit de l'avancer, avec une certaine connivence entre nos invisibles Interlocuteurs et l'Organisation Magnifique, je serais bien en peine aujourd'hui de vous définir "qui", exactement, fit "quoi" dans le déroulement de ce qu'il advint en cette période ; en voici de toute façon le récit.

Conformément à ce qui avait été prévu, le magasin où nous avions acheté la cuisinière électrique et la machine à laver vient de nous déléguer un technicien pour le branchement de cette dernière. L'homme doit avoir une quarantaine d'années. Il s'emploie à établir l'arrivée d'eau depuis le dessous de l'évier jusqu’au lave-linge, placé sous une enfilade de meubles muraux dans lesquels nous entreposons la vaisselle. Tout se passe normalement, si l'on excepte les échanges verbaux auxquels nous nous livrons depuis le début de l'après-midi avec Frida, Verove et Zilder. L'ouvrier qui s'affaire auprès de notre appareil ménager ne peut manquer d'entendre les voix qui nous parlent et de constater qu’elles évoluent dans l'espace, sans que l'on puisse en situer le support ! Il a déjà été étonné de voir se poser sur un tabouret, tel un tapis volant surgi d'un conte des Mille et Une Nuits, le petit drap mortuaire que nous a rapporté monsieur Auzié. Par souci de convivialité, nous avons offert à boire à notre plombier de service, manifestement peu à l'aise dans ce contexte assez particulier où nous essayons, cependant, de conserver une attitude des plus détachées par rapport au dialogue qui se poursuit avec nos "étranges Visiteurs".

L'homme a terminé son travail et il me fait signer un papier qui atteste la mise en service qu'il vient d'effectuer, me demandant simultanément de m'acquitter du prix de cette installation. Je lui expose alors l'argument selon lequel il nous avait été signifié que l'installation était gratuite, mention explicitement imprimée au bas de la facture qui nous avait été remise lors de l'achat. Il apparaît rapidement que nous sommes en total désaccord sur ce point : le ton monte et le technicien nous met en demeure de payer, faute de quoi il se verra contraint, sur-le-champ, de tout remettre en l'état qui a précédé son intervention. Ce que je l'engage à faire, puisque nous estimons, à juste titre, être victimes soit d'un plombier indélicat, soit d'avoir été abusés par le directeur du magasin chez lequel je m'apprête à me rendre avec lui, sitôt le démontage de son installation accompli. Alors que je suis en train de me vêtir et que l'ouvrier va procéder au débranchement de notre lave-linge, Verove et ses acolytes se mettent à houspiller le pauvre homme qui, à cette heure, se demande bien ce qu'il est venu faire dans cette galère !

Le malheureux technicien n'aura pas la possibilité de défaire son ouvrage : alors qu'il s'est accroupi, sa trousse à outils à ses côtés, il se voit soulevé du sol et s'en va marteler du sommet de son crâne la file de meubles de rangement précédemment évoquée. A plusieurs reprises, il tombe à genoux sur le carrelage de la cuisine. Aux coups violents assénés contre sa base, la rangée de placards muraux manque de se décrocher du mur sur lequel elle est fixée. A l'intérieur du meuble, on devine, au bruit perçu, que la vaisselle est en train de s'éparpiller ; toutefois, aucune des portes de l'enfilade ne s'ouvre, évitant ainsi que plats, assiettes, verres et autres ustensiles se répandent sur le sol, à l'instar du plombier, lequel est complètement étendu auprès de la machine à laver qui demeurera branchée. Le "combat" a pris fin : nous avons aidé l'homme à se remettre sur ses pieds, pieds qui, d'ailleurs, sont nus, ses chaussures ayant peut-être rejoint celles de Lucette. Il est complètement effaré et son corps se trouve pris d'un tremblement ; dans un sanglot, il me supplie presque de venir tenter d'expliquer cela à son patron !

André Dellova, qui vient d'arriver sur ces entrefaites, le soutient tant bien que mal, tandis que le malheureux, au bord de la crise de nerfs, se déhanche et se tortille. En fait, il se démène pour tenter d'esquiver le drap mortuaire qui s'est mis à tournoyer autour de lui ! Ce pas de danse improvisé n'est pas sans rappeler l'aspect folklorique de la manipulation de la muleta dans les corridas… Fort heureusement, là, il n'y aura pas d'estocade !... Avec le calme qui reprend peu à peu ses droits, nous l'invitons à boire pour l'aider à se remettre de ses émotions. André, avec sa complaisance coutumière, lui propose de porter sa caisse à outils et de nous rendre sur l'heure au magasin où il n'est pas impossible que ses souliers réapparaissent. Mais l'homme hésite de toute évidence à y retourner déchaussé.

De notre domicile au magasin, à peine plus de dix minutes de marche sont nécessaires. Nous effectuons le parcours dans une ambiance de colonie de vacances : les voix de Zilder, Frida ou Virgins résonnent à tue-tête, déclenchant notre fou rire à la vue des visages éberlués des gens que nous croisons. Il est bon de constater ici que, selon les cas, nous ne sommes pas soustraits à la vue (et encore moins à l'ouïe) des autres : ainsi ce facteur reste variable et soumis à des influences adaptées aux circonstances. Nous l'avons constaté lors du "rodéo" en voiture avec Yoann Chris et nous le verrons à l’avenir, notamment à l’occasion de nos balades nocturnes avec Dakis, Warnier et autres Gardonne.

En attendant, la voix de Virgins, plus tonitruante que jamais, nous invite à observer une certaine prudence alors que nous nous apprêtons à traverser. Dans l'instant qui suit, un adolescent frôle en mobylette le trottoir que nous allons quitter, poursuivant son chemin à une vitesse tout à fait inappropriée pour rouler en plein centre-ville. Virgins s'écrie alors :

- Le sot ! Il va provoquer un accident au prochain carrefour !

Comment prétendre alors que nous sommes surpris d'entendre se succéder crissement de pneus et bruit de choc dans la minute qui suit ? Le temps d'arriver sur les lieux, un attroupement s'est constitué : nous pouvons y voir une voiture arrêtée et, couché devant elle, le jeune homme dont le vélomoteur a été projeté à bonne distance de l’endroit où s’est produite la collision. L'installateur de la machine à laver est subjugué ; son regard interrogateur semble dire :

- Mais comment faites-vous tout ça ?

Craignant que la voix de Virgins ne génère un effet de panique dans le magasin, nous demandons avec beaucoup d'égards à notre accompagnatrice invisible de ne pas se manifester verbalement dans ledit magasin.

Une exposition assez conséquente de réfrigérateurs, de cuisinières, de machines à laver le linge et la vaisselle occupe la majeure partie de l'importante superficie de l'établissement. Nous y faisons une entrée peu discrète, tous les couvercles et toutes les portes des appareils exposés se mettant en action simultanément ! Les employés, ayant reconnu leur camarade en la personne du technicien qui nous accompagne, ou plutôt que nous accompagnons, ont suspendu leurs activités, tandis que le directeur, alerté à son tour par le concert bruyant des portes et des couvercles qui s'ouvrent et se ferment en alternance, s'avance vers nous avec un sourire qu'on devine forcé.

Le ballet métallique s'interrompt spontanément, et j'invite l'installateur et son patron à s'exprimer sans ambages à propos du contrat de vente et de la façon, pour le moins arbitraire, avec laquelle il est mis en application. Au regard que toute l'assistance me jette, je ne mets pas longtemps à m'apercevoir qu'il se passe quelque chose d'insolite. Ceci se confirme dès que le dialogue s'engage, et je me rends compte alors qu'aucun son ne sort de notre bouche ! Chacun parle, force gestes à l'appui, mais en silence : nous sommes les acteurs d'une véritable pantomime. Tour à tour, le directeur du magasin, notre malheureux installateur qui désigne l'énorme bosse qui déforme son crâne, Lucette et moi nous exprimons sans qu'il ressorte, bien évidemment, rien de concret de la situation. C'est avec un haussement d'épaules, soulignant autant l'impuissance que le dépit, que le patron de l'établissement prend congé de nous, non sans nous avoir proposé la conventionnelle poignée de main...

Lorsqu'il nous arrive d'épancher les souvenirs de cette époque, ou même simplement de circuler devant l'emplacement du magasin qui, lui, n'existe plus, et de relater ainsi cette anecdote, nous nous demandons toujours ce qu'il a bien pu advenir de ce pauvre plombier. Le malheureux a dû se heurter à des murs d'incommunicabilité ou sombrer dans les abysses de la folie, à moins, comme je me plais à le croire, qu'il n'ait été conditionné par ses bourreaux pour que s'effacent de sa mémoire toutes traces de cette mésaventure.

Dans la semaine, j'ai accompagné André à Saint-Gabriel pour l'aider à descendre un vieux canapé à la cave. L'opération a eu lieu on ne peut plus normalement, et l'on en vient presque à le regretter : il eût été tellement plus simple de déplacer ce meuble à distance, comme nous avons eu maintes fois l'occasion de le voir faire par nos hôtes mystérieux ! C'est pendant que nous nous désaltérons, récupérant ainsi de notre effort, que se détachent de leurs gonds et disparaissent, sous nos yeux, aspirées par le sol qu'elles traversent, deux portes du bahut dans lequel André vient justement de prendre le sirop et les verres ! Sachant la menace qui pèse sur mon compagnon, à cause de la pétition signée contre lui, je lui propose de ne pas nous attarder et de retourner en ville où Dakis et Lucette nous attendent. Parvenus sans encombre sur le palier, la situation se gâte : le plafonnier de l'ascenseur explose bruyamment au moment où la cabine arrive à l'étage. André suggère alors que nous descendions à pied, de crainte de nous voir accusés par ses voisins qui surveillent étroitement ses moindres faits et gestes, à l'instar du locataire du dessous qui ouvre sa porte au moment précis où nous passons devant chez lui. L'homme nous invective, se plaint et profère des menaces à l'encontre de mon ami, avec lequel, de toute évidence, il n'entretient pas des rapports spécialement cordiaux. Il prétend qu’il y a trop de bruit dans cet immeuble et qu’André en est le principal responsable. Alors que nous nous confondons en excuses et que la colère délaisse progressivement l'irascible individu, un bruit, dans son dos, le fait se retourner, tandis que, muets de stupéfaction, nous pouvons voir, posées sur chant, dans le hall d'entrée, chez notre voisin présentement tout à fait assagi, les deux portes "volages" du buffet d'André ! L'homme s'est saisi des battants : il a des airs de Moïse tenant les Tables de la Loi et, de toute évidence, il attend des explications. Dans ces cas ô combien particuliers, la pire des réactions, comme j'ai pu en faire état antérieurement, est précisément de tenter d'expliquer. Nous convions l'homme à nous suivre et le conduisons à l'étage supérieur où, constatant de visu la fugue des portes, il les remet lui-même à leur place. Tout ceci s'est déroulé sans que nous échangions un mot : tout juste un sourire discret et un salut de la tête au moment de prendre congé. Nous attribuerons ce comportement à un sentiment de respect, voire d'émerveillement ; le bruit cède sa place lorsque le "mystère" nous éveille à nos limites : les confrontations que nous aurons ultérieurement avec des événements de même nature confirmeront ces propos, lesquels ne vont pas sans déranger nos consciences qui négligent trop souvent les potentialités que recèle le "silence"... Nous n'avons pas repris nos activités professionnelles, Marcantoni ayant jugé préférable de prolonger notre arrêt de travail. Nous ne nous sentons pas surveillés en permanence, mais il ne fait aucun doute qu'Ils sont là, quand bien même ne se manifestent-Ils pas aussi nettement que l'on était en droit de s'y attendre. Ils se contentent de nous réveiller le matin, sans trop de délicatesse dois-je préciser, répondent succinctement à de banales questions que nous leur posons, mais sans véritablement engager la conversation comme cela avait pu être le cas au début des contacts. Jigor nous a toutefois promis quelques "réunions" au cours desquelles nous pourrons faire plus ample "connaissance", et où nous aurons la possibilité de poser des questions nous tenant à cœur.

S'il en est un qui, lui, est bel et bien là, c'est ce curieux personnage qui avait suivi Lucette et nous avait carrément emboîté le pas alors que nous nous rendions au "Méditerranée". Nous pouvons le croiser chaque jour à l'un ou l'autre des angles du haut de la rue Pierre Laurent ; il baisse les yeux quand il sent notre regard se poser sur lui, faisant mine de lire ou de prendre des notes sur un calepin auquel il semble s'adresser à voix basse... Pour nous, il est acquis que cet individu n'a absolument rien à voir avec les Etres qui nous "contactent", tout au plus a-t-il quelques accointances avec l'Organisation Magnifique : c'est sans doute pourquoi je me garde bien de lui demander quoi que ce soit, me promettant, cependant, d'interroger à son sujet Jigor ou Virgins qui sont "ceux" qui nous parlent le plus souvent.

Jimmy Guieu, de passage à Marseille entre les conférences qu'il donne un peu partout en France comme à l'étranger, me demande si j'accepterais de me prêter à une expérience scientifique. Elle consisterait à m'immerger dans un caisson, étanche bien entendu, et à procéder à des essais divers, principalement axés sur la télépathie. Cela se passerait sous l'égide de la CIMINEX (société participant à l'élaboration de toutes les techniques expérimentales de plongée) et serait contrôlé par deux membres du CNRS. D'ailleurs, Jimmy me présente sur-le-champ un des scientifiques auquel je donne mon consentement de principe, la date de l'expérience ne devant être fixée qu'à partir de l'avis médical favorable signé par Marcantoni.

Il faut rappeler que Jimmy Guieu respecte toujours cet accord tacite que nous avons passé tous deux, stipulant le secret absolu quant à mes rencontres avec l'Organisation Magnifique, et que ceci a pour effet majeur de me faire passer pour un médium qui ne maîtriserait pas ses "dons". Cette approche de la situation laisse ipso facto la porte ouverte à toutes formes d'investigation de la part de ceux qui sont intéressés par tout ce qui a trait au "paranormal".

Je ne vous tiendrai pas en haleine longtemps quant à ce qu'il advint de ce projet : il ne se réalisa jamais. J'accompagnai bien Jimmy à un rendez-vous que nous avait fixé ce chercheur du CNRS, mais nous attendîmes en vain, l'homme ayant tout bonnement disparu puisque, par la suite, notre ami écrivain ne put plus jamais le joindre ! De façon similaire, quelques années après, et toujours par l'intermédiaire de Jimmy Guieu, des journalistes japonais qui désiraient me voir ne retrouvèrent pas leur chemin, alors qu'ils avaient fait la plus longue partie du voyage : Tokyo/Paris/Marseille !...

Je suppose que tous ces gens furent, à un moment donné, "déviés" du chemin qui devait les conduire à moi, sans doute pour préserver un peu de cette "énergie". Energie qu'une vocation assez particulière, dont je vous entretiendrai ultérieurement, a tendance à dispenser quelquefois à tort, certes, mais jamais sans raison...

En tout état de cause, je veux croire que les Japonais comme le membre du CNRS eurent plus de chance que notre "espion de service" qui vient, lui, de trouver la mort, en cette étouffante fin de matinée du mois d'août, sous notre fenêtre qu'il cherchait à escalader !

Karzenstein nous invite à ne pas nous inquiéter, précisant même :

- L'individu aura d'autres vies conscientes…

En cette fin d'après-midi, Yoann Chris, Dakis et sa maman nous ont rejoints, et nous attendons André et Paul pour dîner. Le repas terminé, les lumières se sont interrompues - sans que nous puissions y remédier - et une obscurité, digne de celle dans laquelle nous évoluâmes à la rue Raoul Busquet, a enveloppé totalement l'appartement. Un brouhaha s'ensuit, qui laisse présumer qu'il y a du "monde" en plus de nos sept présences dispersées au hasard des sièges sur lesquels nous nous trouvions avant la coupure d'électricité. La voix de Verove laisse habituellement transparaître une forme de jovialité assez rassurante, et c'est pourquoi, je pense, Ils le font s'exprimer en premier. Il nous avoue d'ailleurs s'entretenir également avec les végétaux et connaître d'excellents résultats sous cette forme d'échange : nous l'expérimenterons en sa présence, puis seuls dans l’avenir, avec succès. Les autres "semblent" plus sérieux, surtout Jigor et Magloow qui nous entretiennent du climat atmosphérique à attendre dans les jours à venir et des incidences que peuvent avoir, en la matière, certains des procédés techniques utilisés par l'homme. Puis Virgins et Karzenstein se partagent le privilège de nous donner froid dans le dos lorsqu'Elles "rient", fort à propos d'ailleurs, pour ponctuer le caractère cocasse de certaines situations. Dakis le leur fait remarquer, ce à quoi Virgins répond péremptoirement :

- Le rire étant le propre de l'homme, nous le pratiquons pour vous être agréables… Sachez que nous n'en avons nullement besoin !

Madame Papadacci (la maman de Dakis) rattrape fort bien ce petit accroc en incitant nos "Visiteurs" à continuer de rire, affirmant en nos noms que la chose n'est pas dérangeante et qu'il ne s'agit là que d'un problème d'accoutumance que nous saurons résoudre très vite. C'est à voix basse, un peu comme chacun a pu le pratiquer à l'école pour éviter de se faire entendre du professeur, que je suggère de poser quelques questions au sujet de l'homme qui a perdu sa vie, tout à l'heure, sous nos fenêtres. Réplique instantanée de Jigor qui, pour atténuer notre surprise, parle de l'acuité de nos sens et nous révèle ainsi, expérience à l'appui, que, sur les sept personnes que nous sommes, seule Lucette est à même de situer des formes dans la nuit d'encre dans laquelle nous nous trouvons. Qui fréquente un tant soit peu Lucette vous dira le nombre de fois où elle salue des gens dans la rue, croyant les reconnaître, alors qu'il ne s'agit pour elle que d'illustres inconnus. Eh bien, désormais, il faut l'admettre : ma compagne voit aussi bien, sinon mieux, qu'un chat dans l'obscurité. On pourra toujours prétendre qu’elle fut, en ces instants, conditionnée par Jigor et les siens qui, déplaçant silencieusement des objets, lui demandèrent la nature de ces objets. Il s'avère en tout cas qu'elle sut, sans droit à l'erreur, répondre correctement aux questions posées, ce qu'aucun de nous ne put faire ce soir-là. Jigor venait surtout en la circonstance de m'encourager, d'une manière détournée, mais ô combien habile, à parler à voix haute car "Lui" comme ses semblables n'avaient pas perdu une syllabe de ce que j'avais prononcé "en sourdine". En témoigne la réponse qu'Il apporta à l'interrogation que j'avais émise et dont voici la transcription :

- Sachez d'abord que cet individu, originaire des Balkans, n'avait donc aucune affinité, aucun lien d'espèce avec les êtres que vous rencontrâtes dans un passé récent. Cet homme avait eu vent de votre existence au cours d'un colloque au Canada où notre ami Jimmy Guieu parla de vous et, par là même, du "supranaturel" dont votre vie se trouve parée.

Il vous faut savoir également que cet homme appartenait à des services secrets de renseignements dépendant du bloc dit de l'Est, et que les Etats à dominance militaire de ce bloc s'intéressent de très près à tout ce qui est censé toucher à ce qu'ils appellent communément la "force psi". Cet individu se trouvait de surcroît en relation avec un complice qui, lui, avait été délégué à Marseille pour préparer votre enlèvement. Je puis vous rassurer sur votre sécurité, puisqu'il est vain de vous cacher que l'acolyte de votre "espion" connaîtra aussi d'autres vies conscientes.

Sachez, à cet effet, que nous entendons par "vie consciente" le laps de temps chronologique que vos cellules passent dans l'enveloppe charnelle dans laquelle elles se sont amalgamées. Après la rupture, c'est-à-dire après ce que vous appelez la mort, ces cellules demeurent à l'état inconscient, loin de tout support. Ensuite, au hasard de leur(s) regroupement(s), elles s'investissent, de par la loi dite de continuité, dans un autre corps, perpétuant ainsi vos existences que nous nommons alors "vies conscientes".

Karzenstein ajouta que ces choses se verraient développées ultérieurement par ce fameux "Envoyé du Maître", "Envoyé" dont Elle cita pour la première fois le patronyme : Rasmunssen.

Plus que le dénouement de l'affaire des "espions", qu'à vrai dire nous avions vécu à notre insu, ou presque, c'est la rhétorique de ces Etres qui nous subjugue ! Déjà, lors de l'inoubliable 15 juillet, nous avions eu un échantillon du "climat" que savent communiquer leurs dires, mais du fait que nous allons avoir l'opportunité d'y revenir sous peu, il convient surtout, pour l'heure, de souligner ce bien-être qui semble nimber l’atmosphère et qui s'insinue en nous au fur et à mesure qu’on les écoute. Le sang-froid manifesté il y a quelques instants par madame Papadacci se comprend mieux à présent : il n'est en fait que le reflet de sa foi profonde en "tout" ce qui nous dépasse, et cela nous dépasse à un point dont nous n'avions pas idée car nous nous étions trop focalisés sur les "phénomènes" dits "physiques".

Il ressort aussi, de ce qui vient d'être résumé, que l'Organisation Magnifique semble appartenir (comme je commençais à me le figurer) à une espèce différente de celle de Jigor, tel que ce dernier a pu le laisser entendre, bien qu'il n'en ait pas prononcé le nom dans son monologue.

Mercredi 15 août, Jean-Claude Dakis et Yoann Chris sont venus nous chercher pour que nous passions la journée aux Baux-de-Provence. Juste avant de quitter Marseille, Jean-Claude, migraineux, décide d'acheter le journal pour y localiser les pharmacies de garde. Ce ne sera pas utile : Zilder guide Yoann Chris. A peine deux minutes et trois sens interdits après, nous n'avons plus qu'à nous garer pour effectuer notre achat ! Lucette, toujours encline à plaisanter, lance à notre guide invisible :

- Vous auriez pu nous faire parvenir le médicament sans que nous nous dérangions !

Piqué au vif, l'ami Zilder qui, de toute évidence, comprend la plaisanterie, va nous agrémenter le trajet de mille facéties qui iront de la barrière de péage d'autoroute actionnée à distance au plein d'essence réalisé en plein vol, si vous m'en autorisez l'image ! Tout juste nous acquitterons-nous du prix du repas, et encore, sérieusement modifié à notre avantage, chez "le Prince Noir", auberge réputée des lieux.

Karzenstein prendra le relais pour le retour, non sans nous avoir fait, auparavant, l'historique de la région. Nous constaterons à cette occasion que les occupants des véhicules nous entourant, ou roulant en sens opposé, écarquilleront les yeux, et certains iront jusqu'à nous montrer du doigt, notre Volkswagen devant présenter, vue de l'extérieur, des particularités peu communes. C'est une fois à Marseille qu'une petite mésaventure nous permettra de mieux jauger encore la qualité de l'assistanat dont nous bénéficions, au détour d’un léger accrochage avec des touristes allemands, près du Vieux-Port. Il me sera donné la possibilité de m'exprimer en allemand pour régler cet incident mineur, sans que j'en sois bien évidemment conscient, alors que je n'ai jamais pratiqué la langue de Goethe. A l'unisson, tout le monde échangera d'amicales paroles, nous nous congratulerons presque et nous nous égaillerons dans la ville, sans que les uns et les autres aient vraiment bien compris ce qui était arrivé !

Indubitablement, ces Etres, lorsqu'ils s'expriment verbalement ou qu'ils nous font le faire, comme cela vient d'être commenté, ont le pouvoir de faire passer, en plus des mots, un courant dynamisant dont je dirai qu'il "survitalise" la parole. Ce fut vrai avec l'ex-commissaire de police, chez Paul Miguel, c'est flagrant lorsqu'ils nous réveillent le matin, et nous le vérifierons aussi, à l'occasion, avec des animaux. Cela s'avérera encore plus probant par la suite, lorsque cette "conduction" s'exercera au fil des entretiens qui nous apporteront ce savoir qu'avec mes amis nous avons baptisé "les Textes", l'échantillon du climat évoqué auparavant se démultipliant alors.

Mais nous n'en sommes pas encore là, et j'ai dû, pour ma part, reprendre le travail, Lucette, quant à elle, bénéficiant d'une nouvelle prolongation de repos d'un mois, entérinée d'ailleurs par le médecin-conseil de l'entreprise.

J'ai profité de mon retour au bureau pour faire part à Panteri et à Warnier du changement profond qui s'était opéré lors de ces dernières semaines. Miguel les ayant quelque peu mis au courant, le seul élément qui les fasse vraiment tomber des nues est le fait d'apprendre que l'Organisation Magnifique n'est que l'une des deux forces qui sont en présence, et ce, sans doute depuis le début. La situation, comme le soulignent mes deux amis, s'est certes singulièrement éclaircie par certains points, mais elle reste obscure par d'autres : Ils ont fait référence à un Maître, à un Envoyé, il est question d'un message qui, peut-être, sous-entend une mission, sans compter que nous ignorons toujours pourquoi cela me concerne en priorité, bien qu'il ait été fait allusion à "quelques autres"... Mes amis dissimulent mal une certaine inquiétude : Jacques Warnier m'invite à lui laisser un jeu de clefs de mon appartement au cas où, sait-on jamais selon lui, Lucette et moi, voire d'autres, nous trouverions exposés à un danger quelconque, ou même séquestrés par l'un ou l'autre de ces "groupements" dont on ne sait s'ils sont rivaux ou associés. Jean-Claude Panteri, lui, toujours plus modéré, pense que l'heure a sonné de leur demander ce qui est attendu de ma personne et des "quelques ceux" destinés à partager les aléas de cette aventure à mes côtés. Confiant à l'un le double de mes clefs, je promets à l'autre sinon de lui apporter la clef du problème qui le tarabuste, du moins d'accéder à sa demande dès le prochain entretien que nous aurons avec Jigor et ses "semblables"... Ce prochain entretien n’aura pas lieu dans l’immédiat, me laissant le temps de participer inopinément à une "intrusion dans le futur", un événement qui, sans le témoignage de quelques amis, n'aurait pu vous être relaté dans son intégralité, comme cela va se voir démontré.

Nous avons été invités par les Gardonne et nous nous trouvons, Noëlle, son mari, Lucette, André et moi, attablés dans la salle à manger, nous entretenant des événements nouveaux de ces derniers temps. Tout à l'heure, en arrivant, sans doute afin que nous ne nous sachions pas "seuls", les lampes éclairant le palier de l'étage où demeurent nos amis ont explosé et quelques objets ont percuté, sans les briser, les fenêtres de la pièce dans laquelle nous nous tenons. Ensuite, tout souvenir précis de ce que j’ai fait dans l'appartement s'estompe, et si je me revois bien me lever de table pour aller dans la cuisine, c'est sur le parvis de Notre-Dame-de-la-Garde que je me retrouve, sans que je sois capable d'expliquer, à ce jour, comment j'y suis parvenu ! Bien sûr il ne peut s'agir que d'un transfert effectué à mon insu, d'une de ces "téléportations" dans un continuum spatio-temporel, ces fameux "vortex" en lesquels j'ai déjà pu faire quelques incursions, mais de façon consciente, vraisemblablement parce que j'étais accompagné en ces circonstances par les membres de l'Organisation Magnifique.

Toujours est-il que je suis là, à l'extérieur des grilles closes, au pied de cette splendide cathédrale qui coiffe Marseille, alors que le jour hésite à disparaître derrière la ligne d'horizon, s'attardant entre ciel et mer, dans les derniers rayons d'un soleil au nadir qui ne rougeoie plus qu'à travers des vapeurs s'élevant vers les premières étoiles. A ce moment, je perçois distinctement une présence : machinalement je me retourne et vois, de l'autre côté du portail, une dame d'un certain âge venir à ma rencontre. S'agit-il d'une personne qui, toute à sa dévotion, a prié si longtemps qu'elle n'a pas pris garde à l'heure de fermeture et qui, du fait, se retrouve là, momentanément prisonnière de l'enceinte du lieu saint ? Je n'ai pas le loisir de le lui demander : je la vois s'agripper aux grilles, non comme on le ferait pour les ouvrir, mais pour y chercher un appui. J'assiste impuissant à son affaissement contre le portail, et puis, aussi soudainement que j'étais parvenu en ces lieux, je me retrouve chez nos amis où tout le monde commençait à me chercher.

Quel laps de temps s'est écoulé depuis mon départ ? Leurs dires s'accordent à considérer mon absence comme étant inférieure à dix minutes. Je leur relate les faits spontanément, et nous partons sur-le-champ sur le lieu de l'incident : le trajet aller nous prendra à peu près le temps pendant lequel je n'ai plus été parmi eux, le retour, tout en descente, s'effectuera un peu plus rapidement. Mais le plus fantastique restait à venir. Si la vieille dame avait bel et bien disparu lorsque nous réitérâmes mon voyage, les journaux nous apprirent le surlendemain qu’en début de soirée, une septuagénaire était décédée devant le portail de Notre-Dame-de-la-Garde, victime d'une crise cardiaque : l’accident s'était produit la veille, c'est-à-dire deux jours après que j'eus assisté à cette anticipation des faits, dans le même lieu mais… dans un autre temps !

 

 

 

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