Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /
Chapitre 18

 

 

 

 

 

Notre destinée, pour le moment, passe par la fin du mois d'octobre et, conformément à ce que l'O.P.A.C. a promis à monsieur Valentin, par notre aménagement au bâtiment A de la cité des Chartreux. Nous nous rendons donc sur place avec Dakis et Yoann Chris pour visiter notre futur appartement, un trois-pièces sis au troisième étage d'un immeuble trônant sur six niveaux. L'un des gardiens de la cité, monsieur Léonetti, nous remet les clefs, nous confirmant que nous pourrons sûrement aménager dès le début novembre. L'ascenseur nous conduit devant la porte de notre prochain logement, et nous pénétrons dans chacune des vastes pièces très claires que les projets de Lucette meublent, déjà, de fond en comble. Nous sommes emplis d'émotion, vraisemblablement parce que nous interprétons ce décor comme le point de départ d'une nouvelle vie.

Il semble acquis, pour nous, que tout ce que nous avons vécu, tous les problèmes que nous avons dû affronter soient à ranger au rayon des (mauvais) souvenirs. Toutefois, les instants qui suivent, sans pour autant nous faire ravaler notre joie, viennent tempérer le climat de douce euphorie dans lequel chacun d'entre nous, à des titres divers, semble baigner. Les radiateurs du chauffage central émettent des bruits curieux, surtout celui de la cuisine où, avant que nous ayons pu faire le moindre commentaire, l’eau a commencé à gicler tel un geyser, sans la moindre intention, apparemment, de doser, voire d'interrompre son jet !

Le niveau d'eau monte rapidement et, étant donné que nous n'avons rien pour éponger, nous quittons les lieux dans le but d'aviser monsieur Léonetti des dommages que risque de causer ce début d’inondation. Notre gardien, en train de lire un journal dans sa loge située dans un autre bâtiment, se fait tirer l'oreille pour venir constater les dégâts : ou bien il s'agit d'un irresponsable qui veut en faire le moins possible, ou alors, et c'est là notre interprétation, le bougre se trouve sous contrôle de quelque "force" agissant à son insu. Car imaginer l'ombre d'un instant que nous sommes confrontés à un accident banal relèverait vraiment de la pure "science-fiction". Finalement, nous parvenons à décider notre homme à nous accompagner jusqu'à l'immeuble où, sitôt entré, il peut constater l'ampleur des dégâts. En effet, alors que nous nous trouvons au rez-de-chaussée, chacun peut voir dégouliner le long du mur du palier une véritable petite cascade qui va s'amplifiant à chaque étage ! Parvenu devant notre porte, le gardien, sur les conseils de Yoann, préfère, plutôt que d'ouvrir, redescendre et aller couper l'arrivée d'eau de la chaudière collective qui se trouve au sous-sol. Nous passerons ensuite quelques heures à l'aider à résorber l'inondation alors canalisée. Autant dire que cet incident allait, bien entendu, différer notre entrée dans la cité des Chartreux, et cela nous fut confirmé le soir même par Magloow qui prétendit que quelques petites modifications allaient être apportées à notre futur appartement, notamment à l'intérieur de la... penderie.

Dans la semaine qui suivit, monsieur Valentin m'annonça que la C.P.L.O.S.S. avait reçu la confirmation selon laquelle les derniers logements réservés à la Sécurité sociale seraient livrés début décembre, dernier délai. Il fallait donc continuer de camper chez l'ami Dakis où la franche amitié que nous partagions commençait à trancher singulièrement avec la tension que l'on sentait sourdre, de temps à autre, entre les différentes espèces qui nous entouraient.

Une fois de plus, notre vie professionnelle en pâtissait : nous étions le plus souvent amorphes, et le docteur Marcantoni tentait de compenser notre déperdition énergétique par des suppléments vitaminiques, sans trop de réussite, faut-il préciser. Aussi avions-nous dû encore une fois interrompre notre travail. Ce manque d’assiduité n'ayant jamais été de nature à faire valoir une bonne éthique au sein de notre administration, nous faisions l’objet de contrôles inopinés et fréquents de la part de la médecine de l'entreprise.

Tel que cela avait été prédit, les rangs de ceux qui constituaient notre entourage s'étaient singulièrement éclaircis : seule Myriam nous recevait une ou deux fois par semaine dans sa chaleureuse maison du bord de mer où, certains soirs, Rasmunssen nous faisait un brin de causerie, apportant sa douceur verbale principalement à notre hôtesse qui oubliait, en ces instants, les souffrances de la terrible maladie qui allait l'emporter. Qui d'entre nous ne se souvient, à ce jour, de la voix à la fois rauque et fluette de Myriam demandant sur le mode d'une prière à l'Etre invisible :

- Parlez-moi encore s'il vous plaît, Rasmunssen, vos paroles colportent tant de paix que l'on ne se lasserait jamais de vous écouter…

Et "Lui" de s'exécuter aussitôt : Il communiquait à la pièce une douce chaleur chargée d'émotion nous plongeant tous dans une réflexion profonde. Cette réflexion m'entraînait loin, très loin, auprès de celui qui, entre tous, aurait mérité de s’offrir à cette influence bénéfique : Mikaël Calvin.

Nous venons d'empiéter dans la deuxième quinzaine de novembre. Ce soir, Dakis reçoit à la rue Taddeï un client qui n'a pas pu obtenir de rendez-vous à son cabinet. L'homme arrive après le dîner, accompagné de son épouse et de sa fille ; Jean-Claude s'enferme avec eux dans la salle à manger, laissant sa mère, Yoann, André, Lucette et moi dans la cuisine. Soudain, tout s'éteint et Karzenstein prend la parole, se substituant pour ainsi dire à Dakis. Elle évoque en quelques phrases le passé, le présent et l'avenir de la famille venue consulter notre ami. Tout le monde est subjugué, à commencer par les intéressés qui, habitués au spiritisme, avouent n'avoir jamais eu affaire à un tel procédé : en moins d'une demi-heure, la séance est terminée et Dakis se voit remercié et porté aux nues par ses clients qui, à n'en pas douter, vont lui faire une fameuse publicité ! Toutefois, nous attendons leur départ pour nous laisser aller à des éclats de rire que nous avions eu du mal à contenir au moment où l'appartement s'était rallumé, eu égard à la gêne non dissimulée de Jean-Claude...

Au beau milieu de la nuit, alors que le sommeil du juste s'est répandu de lit de camp en matelas pneumatique, nous sommes réveillés en sursaut par le sifflement strident d'un des oiseaux qui évoluent depuis quelque temps parmi nous. Il s'ensuit un véritable branle-bas au cours duquel Frida et Jigor nous demandent, ni plus ni moins, d'évacuer les lieux. Dans un brouhaha indicible, Karzenstein et Virgins ajoutent :

- Hâtez-vous ! Vous courez un danger certain : nous sommes en conflit avec d'autres espèces, il va y avoir des émanations de gaz et de vapeur chaude, ainsi que des autodestructions de nos opposants. Vous pouvez cependant laisser votre chien Tanit, nous vous garantissons qu'il ne lui arrivera rien de fâcheux.

En moins de cinq minutes, nous nous habillons et dévalons l'escalier. Madame Papadacci n'a pas accompli le moindre geste pour se vêtir : "on" lui a passé ses collants, sa robe et enfilé ses chaussures ! Nous nous engouffrons à six dans le véhicule de Yoann : notre conducteur, Jean-Claude, sa mère, Lucette, André, qui a cru bon de prendre sa guitare, et moi qui sens ma tête se mettre à bouillonner et mes mains devenir glacées. Nous prenons la direction de la plage, n'osant déranger personne de nos amis susceptibles de nous accueillir à une heure aussi avancée de la nuit. Tandis que nous sommes arrivés au bord de mer, j'ai l'impression de m'extirper de moi-même et, comme cela s'était déjà produit, je perds toute souvenance de mon comportement. C'est donc, une fois de plus, grâce au témoignage de mes amis que va vous être relaté ce qui survint alors. Yoann Chris s'est garé, et nous sommes descendus de la voiture pour nous asseoir sur la plage où André, pour exorciser la peur de chacun, s'est mis à jouer de la guitare. Pendant que les étoiles et la lune se reflètent en dansant sur les flots, une barque apparaît au loin et se rapproche du rivage pour s'immobiliser à une centaine de mètres d'où nous nous trouvons.

Là, elle se place parallèlement à la plage et entreprend une sorte de ballet nautique, filant droit devant elle, pour revenir en marche arrière, très vite et sans bruit, sa coque glissant sur un tapis de flammèches. C'est alors que, m’exprimant dans un langage inconnu, je me lève et me dirige vers l'esquif qui vient d'entreprendre une nouvelle manœuvre et s'apprête à regagner le large. Yoann m'a emboîté le pas, se préparant à éventuellement me porter assistance car il craint que dans mon état semi-hypnotique je ne coure quelque danger. Mais rien ne se passe, sinon un échange amical de signes de la main avec les personnages occupant la barque, dont j'oserais attribuer aujourd'hui l'appartenance à l'Organisation Magnifique, de par les déductions qu'il m'a été donné de faire et que je vous soumettrai quand sera venue l'heure d'établir les conclusions de cette histoire.

Au moins deux heures s’égrèneront avant que nous réintégrions notre havre de la rue Taddeï et que je recouvre enfin mes sens. Tout comme pour mes amis et mon épouse, un climat étrange règne à l'intérieur de l'appartement : Tanit a l'air quelque peu engourdie, et il semble qu’un brouillard flotte autour de nous. Cependant, la tension que nous avons subie, à des degrés divers, nous engage à remettre au lendemain nos commentaires sur ce que nous venons de vivre, d'autant plus qu'aucune "voix" ne daigne se manifester pour nous dire ce qui s'est déroulé durant notre éloignement.

C'est seulement le surlendemain que nous pourrons obtenir quelques renseignements sur cette nuit mouvementée, encore que fort peu de détails nous seront donnés. Nous apprendrons simplement que ne se jouait là aucune question de suprématie, qu'il s'agissait avant tout de rétablir un équilibre compromis par l’œuvre d'interférences au niveau des échanges entre différentes espèces. L'ensemble de ces événements se voulait en grande partie imputable à ce fameux "ambiant", un mot adopté peu à peu par notre vocabulaire. A ce jour, bien d'autres éléments, inhérents à l'Initiation dont nous avons bénéficié, nous ont autorisé à interpréter d'une façon assez cohérente, car plus complète, ce qui était survenu par cette nuit de novembre. Ce n'est pas dans le but d'entretenir un quelconque suspense que je remets à plus tard mes précisions sur le sujet : considérons que faire fi de la chronologie des faits, en la circonstance, ne rendrait pas plus explicite la chose. Sans brûler les étapes, disons simplement que, pour l'heure, Karzenstein, poursuivant le but qu'elle s'était assigné à mon égard, vient de commencer à mettre en place les données essentielles permettant à Rasmunssen, Jigor et consorts de m'apporter ce à quoi j'étais, bien malgré moi, voué.

C'est avec une joie non dissimulée que, le lendemain, Paul Miguel s'en vient nous apprendre que la C.P.L.O.S.S. a enfin reçu le feu vert de l'O.P.A.C. pour que nous effectuions, conformément aux dernières supputations, notre entrée le 1er décembre dans notre nouveau logement. Hormis l'agitation due à tous les préparatifs de notre emménagement, le calme a repris ses droits dans tout ce qui constitue notre environnement.

La famille de Lucette, sans doute rassérénée de voir une forme de normalité poindre dans notre quotidien, semble avoir mis un bémol aux mesures de mise en quarantaine prises à notre encontre, imitée en cela par mes parents qui, de toute évidence, se réjouissent de nous voir enfin commencer notre vie (pour reprendre leurs propres mots). Ainsi, sept bons mois après notre mariage, Lucette et moi, libérés d'une certaine tension, eûmes la sensation réelle, bien qu'imagée, d'achever une traversée du désert. Nous prîmes cependant difficilement nos marques dans l'appartement des Chartreux qui demeura encore un temps, pour nos esprits meurtris, plus un mirage qu'une oasis.

Voilà plus de quinze jours que nous sommes installés, et les fêtes approchent. Nous passerons Noël chez mes parents, à Toulon, le jour de l'An à Auriol, en compagnie de ma belle-famille. Il est certain que nous allons devoir essuyer le feu des multiples questions posées par les uns et les autres, lesquels s’emploieront à assouvir une curiosité, certes équivoque, mais que je me refuse à blâmer tout à fait. Quant au prolongement de nos aventures proprement dites, il suit son cours, dans une grande discrétion dois-je préciser. Seul Verove se fait entendre journellement, s’occupant avec beaucoup d'amour des différentes plantes dont nous avons garni notre maison. Nous donnant une multitude de conseils dans ce domaine, Il nous recommande notamment de tenir compte de leur présence en leur manifestant un attachement certain, exprimé par une pensée précise, ou encore, comme je l'ai déjà écrit, en leur adressant la parole. Verove nous a également indiqué l'emplacement idéal pour chacune, nous invitant à orienter, chaque jour sous un angle différent, les pots les abritant, afin que l'intégralité de chaque plante connaisse "l'alternance en l'échange"...

Lucette est la plus heureuse et apprécie particulièrement ce que lui enseigne Verove, toujours enclin à une forme de convivialité véritablement à notre portée, je dirai de dimension humaine. Ne nous donne-t-Il pas, à notre demande, des nouvelles de ses semblables ? Ces derniers, nous dit-Il, reprendront par ailleurs leurs contacts avec nous dès le début du prochain "cycle annuel". C'est heureux car, pour ma part, je ne cacherai pas que le silence de Rasmunssen me pèse énormément.

Janvier 1974 nous voit reprendre le travail. Si Lucette, au vu de ses absences prolongées, a été remplacée à son poste et a connu une nouvelle affectation qui la rapproche sensiblement de notre domicile, j'ai, quant à moi, un long trajet à accomplir pour rejoindre mon service. Heureusement, Robert et Angèle Rebattu, nos voisins, travaillent au centre Jules Moulet, proche du boulevard Notre-Dame, et possèdent une voiture. Je pars donc avec eux chaque matin et rentre en leur compagnie en fin de journée. Ce sont les seuls employés de la Sécurité sociale que nous fréquentons pour ainsi dire assidûment, avec André Dellova qui, à son tour, vient de trouver à se loger dans un petit studio du centre-ville. Il n'est pas rare que Dakis nous rejoigne et que nous évoquions les péripéties du dernier automne. Toutefois, si nous constatons toujours des déplacements ou des apports d'objets, faisant office de symboles que nous ne comprenons pas toujours, Verove reste bien le seul à nous adresser la parole. C'est seulement au mois de février que Karzenstein, Jigor, Virgins, Magloow et Rasmunssen se manifesteront de nouveau de manière verbale. Ce sera d'ailleurs à l'occasion d'un repas confectionné par ses soins queDakis, sur le ton de l’humour, s’indignera à propos de la petitesse exagérée d'un œuf de poule, tranchant avec le calibre des autres œufs de la boîte.

- Qu'à cela ne tienne, Jankis !… Etes-vous satisfait à présent ?…

A la suite de cette phrase lancée par Karzenstein, nous vîmes l’œuf se "stigmatiser" et doubler de volume… Jean-Claude conserva cet œuf qui suinta dans une soucoupe pendant près de quinze ans à l'intérieur de l'armoire vitrée de son cabinet de consultations. Celui-ci disparut après, sans que l'on sache comment ni pourquoi.

Nous passâmes alors quelques soirées à nous entretenir avec nos "étranges Visiteurs". Ces entretiens nous apprirent que bien des individus ayant contribué à l'élaboration de notre "culture" avaient été initiés par "Eux", le plus souvent lors de leur sommeil, tels Platon, Jules Verne, Alexis Carrel, Pierre Teilhard de Chardin, ou encore au moyen de conversations dites "spirites", à l'instar de Dante, Léonard de Vinci, Galilée, Victor Hugo et d'autres qu'il serait long d'énumérer ici. Ces "translations spirituelles" resteraient l'apanage d'individus susceptibles de vivre la condition d'êtres à l'issue de leur vie consciente...

Au fur et à mesure que nous aborderons les résumés des entretiens que nous accordèrent en particulier Rasmunssen et Karzenstein dans les années suivantes, nous développerons toutes ces notions qui peuvent paraître obscures de prime abord. Il est bon que le lecteur se trouve dans la même réceptivité que celle que nous connûmes, mes amis et moi-même, dans tout ce que put être l'approche de cet "apprentissage", puis dans ce que l'on s'accorde, à ce jour, à considérer comme l'aboutissement de cet enseignement.

Et puis commenceront, pour moi, des séances d'isolement atteignant parfois huit heures, dans l'obscurité la plus totale ! Ces séances auront pour cadre la penderie jouxtant notre chambre, un local qui doit couvrir environ cinq mètres carrés, légèrement plus étroit que celui de la rue Pierre Laurent.

C'est le plus souvent à la tombée du jour que Jigor m'invite à pénétrer dans la petite pièce, auprès de tous nos vêtements suspendus, au beau milieu desquels flotte une entêtante odeur d'antimite. Lorsque j'en ressors, parfois à deux heures du matin, complètement exténué, Lucette dort profondément : l’on est en droit de supposer qu'elle a été plongée dans un sommeil artificiel pour lui éviter une attente qui s'avérerait angoissante. Néanmoins, elle peut percevoir, dans les premiers instants suivant mon enfermement, des sons divers qui vont d'un sifflement prolongé à un vrombissement faisant vibrer les cloisons, le tout entrecoupé de voix plus ou moins lointaines s'exprimant dans un idiome qu'elle ne connaît pas. Pour ma part, je n'ai souvenance de rien de précis quant au contenu de ces expériences : regagnant mon lit, sitôt "libéré", je m'endors immédiatement.

Pourtant, bien des changements sont en train de s'opérer en moi, à mon insu certes, mais sensiblement voyants pour qui me connaît bien. C'est ainsi que mes parents sont surpris de me voir faire l'acquisition de statues en bronze chez des antiquaires que je paie à crédit. Ceci peut paraître banal, mais il faut savoir que j'ai toujours été complètement détaché de ce qui est "matériel". C'est pourquoi ponctionner de la sorte nos salaires par des achats dont la futilité n'échappe à personne (d'autant plus qu'il n'y a aucun but spéculatif dans mes intentions) ne rassérène ni mes parents, ni mes beaux-parents qui se demandent bien ce que des sculptures des XVIIIe et XIXe siècles, inspirées par la mythologie, ont à faire dans l'environnement de simples petits fonctionnaires. Moi-même n'en sais rien : simplement je me dois de constater qu'à la vue de ces objets, je me trouve en proie à une sorte de frénésie qui me pousse à les acheter. Ne me considérant aucunement comme un esthète en la matière, mais seulement attiré par la poésie et par la musique, je ressens, face à ces statues de muses, de héros ou de dieux, une indicible émotion dont j'ignore alors qu'elle va me conduire à la compréhension et à l'expression de quelque chose de fondamental. Il n'est pas prématuré de dire ici que les rapports humains établis avec certains antiquaires (les Gaillard/Romano/Muraccioli à Marseille, les Arranz à Toulon) ont donné naissance à une sincère amitié toujours d'actualité. Cette amitié nous engagea à participer avec chacun à un voyage agrémenté d'un séjour, au cours desquels il se passa des événements prépondérants qu'anticiperont, confirmeront ou révéleront les entretiens vécus avec Rasmunssen, Karzenstein, Virgins, voire Magloow.

Nous avons reçu des nouvelles d'Italie où les De Rosa viennent de devenir les parents d'un petit Marco, et cela confirme, comme s'il en était besoin, la guérison définitive de Chantal. De leur côté, Gil et Claudine, toujours par courrier, nous font part de l'évolution de Vanessa qui, à présent, dessine et peint... Je repense alors à "l'opération renouveau" dont parlait l'Organisation Magnifique et je me plais à croire que Vanessa Saulnier, Marco De Rosa et, dans quelques mois, Sandrine Warnier prendront part à l'élaboration d'une société nouvelle et, par là même, meilleure. Je ne sais pas jusqu'à quel point nos actes dépendent de notre bon vouloir, mais cela importe peu… Si ces actes réussissent à nous guider loin de toute cette confusion à laquelle notre système tend à nous adapter, ils sont les bienvenus, et ce, quelle que soit leur provenance. Car elle bat son plein, la confusion, en ce printemps 1974 : Jimmy Guieu voit ses émissions radiophoniques supprimées par l'O.R.T.F., Pierre-Jean Vuillemin perd son agence de voyages et Joël Ory son poste de directeur des assurances Le Monde. Comme Alain Le Kern va devoir fermer sa librairie "La Rose et le Lotus", j'ai la sensation que l'injustice fait flèche de tout bois sur mes amis, bien que je sache que la foi qui anime la vaillance de tous ces personnages saura leur permettre de triompher de ces tracasseries, comme elle a su les aider à tout mettre en œuvre pour que je surmonte les miennes. M'étant ouvert de cette série d’avatars à Rasmunssen, ce dernier m'invita à ne pas m'alarmer exagérément, me citant en outre la célèbre phrase d'Holderlin : Plus le péril est grand, plus le salut est proche…

Contrairement aux discours des membres l'Organisation Magnifique, ces Etres qui nous parlent ne font pas état de modifications des structures de la société. Ils englobent notre situation dans un "tout" dont l'élément majeur se trouve être la nature. Ils parlent toujours avec déférence de la Terre, qu'Ils assimilent à un support, et nous engagent plus à "observer" ces modifications qu'à "agir" sur lesdites structures, selon un quelconque mode d’emploi. Jigor nous répète souvent que la Vie ne s'exprime pas seulement dans les formes où les sens la décèlent…

A ce sujet, Il traite beaucoup de la Lumière qui, au fil des couches (portions d’espace) qu'elle traverse, octroie à la matière (ou volume), suivant ses formes, des ondes vibratoires conditionnant diversement notre existence à travers les possibilités interprétatives et sensorielles qui sont nôtres. Il va jusqu’à nous préciser que cet élément fondamental (s’il en est) ne se déplace pas en permanence à une identique vitesse, arguant sans ambages :

- La vitesse de la lumière n’est pas constante, tel que votre monde scientifique vous a appelés à le croire…

Un soir, chez Dakis, à l’issue d’un repas, Jigor, toujours lui, nous fit une démonstration des potentialités de ladite Lumière : Il projeta un faisceau lumineux sur le mur mitoyen séparant la salle à manger des voisins de Jean-Claude de la pièce dans laquelle nous nous trouvions. L'éclairage diffusé adopta une forme circulaire qui s'élargit et sembla exercer son action à l'image d'une vrille. Telle une grande spirale silencieuse, la lumière découpa alors un imposant cercle dans la cloison, nous permettant de voir les voisins vaquer à leurs occupations du moment[1]. Puis, sous l'effet de la même lumière, le mur reprit sa consistance, sans doute de par l'influence du processus inversé. Jigor nous indiqua alors qu'il s'agissait là d'une dispersion moléculaire assimilable à une fission, suivie d'un "réamalgame" des parcelles de substances éparpillées et suspendues dans l'espace, dite recondensation. Je tiens à préciser que la dissémination, puis l'agglomération de ces parcelles de matière échappa totalement à notre vision.

Ceci nous amena à poser des questions quant à notre perception des choses, notamment des couleurs de ces choses. Voici ce dont notre curiosité hérita par l'intermédiaire de "l'omniscient" Jigor :

- La densité de l'Espace Vide, c'est-à-dire la vacuité dudit Espace, génère des particules (microcellules et précellules) de par la Loi des Echanges dont nous vous entretiendrons. Ces particules sont en suspens du support volumique qu'est la Terre. La lumière astrale, solaire en l'occurrence, traverse ces particules et leur octroie, selon la profondeur du volume qu'elles vivent et qui les vit, des expressions ondulatoires que vous pouvez nommer spectres : le spectre dont nous faisons état ici intéresse la vue, en tant que moyen de perception et parfois d'interception.

Ce spectre va donner, à travers le prisme des couleurs que le sens précité interprète, une de ces couleurs à la chose perçue. Donc, une fois acquis que l'échange en les couleurs est dû à ce qu'irradie et filtre la lumière astrale, en la superposition des couches vivantes de l'atmosphère, il ne conviendra plus qu'à en situer les nuances. Le meilleur exemple soulignant la différence des effets perçus en les divers volumes d'Espace Vide est l'eau. Elle prendra et rendra les couleurs que son environnement, vécu en l'échange reçu/transmis, lui conférera. Cela ira du cristallin au blanc, puis au bleu pâle, un bleu de plus en plus foncé la faisant accéder alors à ce que vous assimilerez au noir, votre prisme des couleurs ne vous autorisant pas à situer toutes les nuances qu'exerce la Lumière en les volumes qu'elle visite. C'est l'absorption, par la densité existentielle des choses, de la quasi-totalité des radiations luminescentes qui leur interdit, en la situation évoquée, de réfléchir ce qui devient l'opacité dont votre vue n'établit plus, sauf exception, aucune synthèse.

Ces radiations qui constituent la lumière incidente ne vous parvenant pas, l'acuité adaptative vous fait défaut car il faut alors avoir recours à la bioluminescence : l'aptitude à produire sa propre lumière.

Yoann Chris rompit le court silence qui s'ensuivit, avouant qu'il avait toujours pensé que c'était le bleu du ciel qui colorait la mer, ce qui engagea Jigor à lui demander :

- Pourquoi alors l'eau des étangs, comme celle des rivières, est-elle glauque et parfois grise ? Et pourquoi le débit des cascades, en le courant qui le propulse, a-t-il cet aspect blanchâtre, voire argenté ? Ces divers états de liquide se trouvent également exposés au ciel. Par extension, je vous inciterai à ne pas oublier que les poissons de mer n'ont pas, non plus, exactement la même couleur que leurs congénères des rivières… Et puisque vous faites référence au ciel, c'est presque vous faire offense que de vous rappeler qu'à très haute altitude, les cieux paraissent noirs. Tout cela est inhérent à la Lumière et au mouvement qu'elle déploie en la Loi des Echanges dont je vous ai dit que nous reparlerions.

Peu à peu, nous liions connaissance avec un vocabulaire très imagé qui, sans que nous en eussions conscience, allait nous permettre d’entamer une approche de l’absolu auparavant insoupçonnable à l’endroit de ce que représentait notre culture. D’ailleurs, pour tout ce qui traitait de l’absolu, ces entretiens tenaient davantage d’un monologue que d’un dialogue à proprement parler. Toutefois, dans ce domaine particulier, nos Initiateurs n’interdisaient nullement qu’on les interrogeât, ne fût-ce qu’à la faveur d’un silence qu’Ils agençaient à dessein (!), ainsi que nous venons de le constater, et tel que ceci se reproduira souvent à l’occasion de contacts futurs. La rhétorique utilisée sur ces entrefaites donnait lieu parfois à des réparties aussi déroutantes que pertinentes. Jigor, dont nous venons de transcrire les explications à propos des couleurs, ne se priva point d’user d’une méthode qui, pour paraître escamoter les renseignements que nous lui réclamions, requérait une évidente sagacité de notre part. Présentement, je citerai à la sauvette quelques-unes de ces réparties dont je puis avancer aujourd’hui qu’elles servirent de tremplin à ce qu’il est convenu de nommer, en toute humilité, l’éveil de notre conscience. Ainsi, à Yoann Chris qui le questionnait afin de s’entendre confirmer que l’homme descendait bien du singe, l’Etre de Lumière rétorqua :

- Si l’homme descendait du singe, comment expliqueriez-vous qu’il existe toujours des singes ?

Au même interlocuteur qui lui lançait sur un ton semi-interrogatif :

- La Terre a bien quatre milliards et demi d’années…

Jigor se contenta d’émettre un laconique :

- Tiens donc !…

En 1978, ce procédé (pour l’heure Jigorien) se verra en quelque sorte officialisé par Virgins sous forme d’un syntagme selon lequel Elle nous aiderait à nous faire répondre à nos propres questions, ajoutant au passage : La question contient souvent la réponse ; s’il on en soulève une, on porte obligatoirement l’autre.

Actuellement, force est de concevoir que, quelle que soit la formule employée, ce mode d’expression accentue le fossé qui avait commencé à se creuser entre les préoccupations de naguère (dans le domaine de l'intérêt que notre éducation nous engage à porter aux choses) et celles vers lesquelles nous tendons à nous diriger, de par la qualité de ce que nous apportent ces Etres extraordinaires. Si, en soi, cela peut être considéré comme une aubaine, eu égard au caractère restrictif et donc stagnant de l'évolution qu'inspire la finalité de notre mode de vie, il ne faut pas oublier que nous sommes bel et bien dépendants de ce mode de vie. La traduction de cette réaction prend toute son importance par rapport à l'image qui se dégage de nous dans le domaine du travail. Il s'ensuit, pour autrui, une impression d'absence de notre part, de laquelle nous n'avons pas bien conscience, mais qui va à l'encontre de la conscience dite professionnelle. Evidemment, il n'est pas possible de demander aux autres de se mettre à notre place, et ceci nous vaut bien des remarques, et même des reproches en ce qui me concerne personnellement. Alors, en ces circonstances, me reviennent, à la façon de leitmotiv, les dires de Mikaël Calvin : Tu n'as rien à faire ni ici ni ailleurs… Ou encore : […] J'ai l'intime conviction qu'il faut que tu sois libéré de tout environnement social.

Dès lors, je n'aspire plus qu'à quitter cet univers devenu carcéral, et si parfois je m'abstiens de céder à la facilité qui m'incite, selon mon humeur, à tout laisser en plan, c'est bien dans le but de ne pas plonger mes parents dans les affres d'un désarroi qu'ils ne méritent pas ; après tout, il ne leur incombe même pas la responsabilité de m'avoir conçu : plus que quiconque j'ai le devoir de respecter leurs principes ainsi que leurs vieux jours, lesquels se dessinent dans la perspective de la prochaine prise de la retraite par mon père qui défie allègrement les années du haut de ses cinquante-neuf printemps. Lucette, quant à elle, pense, à l'instar de Panteri et de Giorgi naguère, que c'est vers la chanson que je dois me tourner. Dakis n'est pas loin de penser pareillement, simplement tient-il davantage compte de cet entourage "supranormal", entourage qui, comme j'ai déjà pu en faire état, a vraisemblablement son mot à dire dans tout ce qui concerne mon avenir, ayant géré secrètement mon passé et influençant sur divers plans mon présent. Jean-Claude considère qu'il convient pour l'heure de faire montre d'attentisme ; il m'encourage néanmoins à écrire, étant intimement persuadé que tout ce que nous vivons va, à la longue, m’animer d’une inspiration nouvelle. Et il ne se trompe pas.

 

 

 



[1] Les ufologues appellent lumière cohérente cette pseudo-lumière capable de traverser la matière.

Partager cette page
Repost0